Apprendre que prendre en considération un épisode historique de son début à sa fin relève de la téléologie est, comment dire ?, amusant. Quant aux propos "amusés" que tiennent à mon sujet des "vrais connaisseurs et des historiens de métier", permettez-moi d'observer, cher Monsieur Rabino, qu'ils ne se sont toutefois pas amusés à tenter de publier le moindre démenti, sur aucun point, à mon Présumé Jean Moulin, les leçons à eux administrées par la Justice après la parution de Les secrets de l'affaire Jean Moulin leur ayant ôté l'envie de rigoler. Et votre tentative de disqualifier,à leur suite mon travail en arguant qu'il reposerait sur "un lieu de rendez vous...", ne démontre qu'une chose: que vous n'avez pas lu Présumé Jean Moulin où, précisément, ledit rendez-vous est établi avec une telle armada de témoignages et de documents, que l'affaire n'est plus ni contestable ni d'ailleurs contestée par les faiseurs d'histoire dont vous appréciez tant la rigueur et la probité. Au demeurant, cette histoire de rendez-vous n'est pas, et de loin, le seul argument qui établit ma thèse sur la véritable position politique de Moulin. Mais cela n'est pas l'objet du débat actuel. Celui-ci porte sur Carte. Contrairement à ce que vous tentez de faire accroire, je n'ai jamais nié l'existence de Carte, et pas non plus, le modeste travail de renseignement effectué par cette modeste organisation. Je dis et maintiens seulement, que Carte, à dater de l'été 42, fut un vecteur d'intox manipulé par le SIS et SOE/F/ Dans cette optique, vos arguties basées sur le rapport Bodington du 15 octobre 1943, sont irrecevables car, bien entendu, Bodington, ami comme cochon avec Boemelburg, grand chef des services répressifs allemands en France, et homme lige du machiavélique Dansey, de l'IS, ne pouvait faire autrement que de feindre de se plaindre amèrement de la mauvaise volonté de la Royal Navy à livrer les 50 000 Stens qu'il avait promises à Carte en août 43, et qui, bien entendu, n'ont jamais été livrées, pas plus que les 300 émetteurs également promis, etc... A vous lire (mais je n'ai pas encore fini) j'observe surtout la pauvreté de votre documentation archivistique pour tout ce qui concerne le SOE et ses, disons, turpitudes. Vos références venant des Archives nationales françaises sont réduites au strict minimum. Plusieurs très importants dossiers concernant directement Carte ne sont pas cités dans vos sources. Et quant aux documents tirés du Public Record Office, disons, pour être aimable, qu'ils sont réduits à 3 ou 4 cotes valides, et à deux autres qui m'ont tout l'air de venir de Mackenzie et qui ne correspondent pas au système de cotation en vigueur au PRO, et ce alors même qu'il y a là bien d'autres documents et dossiers concernant directement Carte.
Pour finir sur une note plus positive, il est bon que vous ayez exploité le très riche fond privé de Girard/Carte, mais on regrettera que vous ayez arrangé à votre goût certaines citations. Par exemple, p.271-272, celles du réquisitoire de Frager contre Girard.
Au total, je dirais que s'attaquer à la question Carte était méritoire, mais pour la traiter véritablement, il eût été nécessaire d'avoir une connaissance extensive et profonde des réalités de la clandestinité, et, notamment, de ce que fut l'action du SOE/F et de l'IS. Vous vous êtes, je crois, trop pressé de publier, et le vrai livre sur Carte - qui le mérite, ô combien - reste donc à écrire. Peut-être sera-ce par vous si vous consentez à approfondir ce que vous avez seulement survolé. L'histoire scientifique exige patience et obstination, pas hâte et à peu près.
Cordialement
Jacques Baynac