Parmi nos divergences, qui sont à relativiser, la principale porte sur la façon de débattre. En ce début du tournoi de Wimbledon, je serais tenté de dire que tu considères avoir gagné, au moins, les deux premiers sets et t'agaces que je ne partage pas ce sentiment. Tu sembles estimer que je conteste abusivement les verdicts que, joueur-arbitre, tu as proclamés tout en invoquant, à l'occasion, les acclamations d'un public aussi invisible que mal délimité.
Ma méthode est différente : rejuger les points passés n'est pas ce qui m'occupe et d'ailleurs je refuse de considérer que nous serions dans une joute. Pour moi il s'agit d'histoire et de la détermination la plus serrée possible, en l'occurrence, de de qui s'est passé à Wannsee un certain 20 janvier. Je crois avoir fait avancer le schmilblic en me livrant à une analyse de fond du premier livre détaillé sur l'événement, que tu as invoqué tant et plus à l'appui de ta contestation des pages rapides que j'avais commises trois ans auparavant sur le sujet, dans ma biographie de Hitler. Je n'espère guère te convaincre mais je pense éclairer les positions.
Pour moi, il y a une décision hitlérienne de génocide prise dès 1919, avec des modalités très floues, à préciser tout au long de la réalisation d'un projet politique infiniment plus vaste : purification ethnique du Reich, doublement de son territoire vers l'est et le sud-est, vassalisation du continent européen et simplification drastique de la carte des grandes puissances. Cette action doit s'accompagner d'une patiente pédagogie envers la "race supérieure" du pays conquérant, à qui il s'agit de mettre le pied à l'étrier sans le lui dire, mais en le lui suggérant avec une clarté croissante. Donc évidemment je ne nie pas (comme quelques intervenants l'ont apparemment compris à travers tes résumés) qu'il y ait eu des massacres avant ce 20 janvier 1942 et que la plupart des participants à la conférence en aient entendu parler, ou y aient participé eux-mêmes. Ce que j'ai brusquement senti en écrivant mon livre, et exposé sans fouiller autrement la question car il abordait cent autres sujets, c'est que l'information de ces participants étaitt différenciée.
A Wannsee il s'agit -et de nombreux passages du livre de Roseman vont dans ce sens, à côté d'autres plus ambigus- de compromettre toutes ces personnes imparfaitement et inégalement informées dans une généralisation du génocide à l'échelle de l'Europe et d'étendre cette compromission à tout l'appareil gouvernemental, en gardant beaucoup de points dans le vague. C'est ainsi que rien ne laisse prévoir la formidable accélération du processus et le renversement des proportions entre les personnes mises au travail et celles exécutées directement, qui va s'opérer au printemps suivant.
Mais au fait, qui, à cette date, est clairement informé de cette future accélération, à part Hitler ? Voilà un point, entre beaucoup d'autres, sur lequel je souhaiterais que nous nous penchions dans la suite de ce débat.
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