Si les dénégations d'un accusé sont évidemment à prendre avec circonspection quand elle tendent à le disculper, il n'en va pas de même d'un témoignage, noté le jour même, sur les réactions d'un accusé au surgissement d'une pièce qui l'accable.
Or le psychologue américain Gilbert (p. 42-43), visitant les accusés après la lecture, par Alderman, du protocole Hossbach (26 novembre), ne croise pas l'ombre d'un négationniste ! C'est encore l'époque où les accusés prennent leurs repas tous ensemble et, à cette occasion, communiquent librement (tout comme, pendant les audiences, ils peuvent manifester leurs doutes à tous les coaccusés si on lit quelque chose qui leur paraît faux). Le protocole a été lu le matin, et à midi Gilbert observe les convives. Il écrit :
Beaucoup de prévenus ne cachèrent pas leur étonnement devant ce document révélant la conception de Hitler de la politique de force. Jodl dit qu'il ne s'en était pas rendu compte alors. Une chose qui l'étonnait aujourdh'ui dans ce document était la surestimation de l'importance de l'Italie.
Seyss-Inquart (...) dit : "Si seulement j'avais su en 1937 qu'il avait fait une déclaration pareille, j'y aurais certainement réfléchi à deux fois avant de jouer ce jeu."
Von Schirach estima que le document constituait "de la folie politique concentrée".
Frank remarqua : "Attendez seulement que les Allemands lisent cela et qu'ils voient avec quel dilettantisme le Führer a scellé leur destin !"
Göring n'appréciait pas du tout cette conversation. Il s'écria : "Ah, chansons que tout cela ! Les Américains n'ont-ils pas conquis la Californie et le Texas ? C'était bien aussi une simple guerre agressive en vue d'une extension territoriale !"
Ribbentrop, tout ébouriffé, secoua tristement la tête quand je lui demandai s'il n'avait pas connu cette déclaration (...) : "Non, il ne m'en a jamais parlé". [ce qui, soit dit en passant, n'exclut pas qu'il ait lu le p-v dans les papiers laissés par Neurath].
Fritzsche admit que le document jetait une lumière nouvelle sur l'affaire : "Je vois maintenant pourquoi il est question de complot, et je serai moi-même obligé de changer de position au sujet de l'acte d'accusation."
Sauf erreur, Gilbert ne revient pas sur la question (et notamment pas dans ses notes assez détaillées sur la défense de Göring, tant en audience que dans sa cellule) avant de noter ceci, le 16 mai, à propos de la défense de Raeder : l'amiral a discuté non le texte, mais le fait qu'il annonçât la guerre. Il a "reconnu qu'il assistait à cette réunion et avait entendu ce discours".
Voilà bien des billes pour démontrer l'authenticité de ce document : elle est confirmée, lors de sa venue au jour, par l'absence totale de contestation de trois témoins oculaires que pourtant il accable (les deux cités et Neurath), puis par le fait que des mois plus tard, ayant eu le temps de peaufiner leur défense avec des avocats chevronnés, ils en contestent tout au plus l'interprétation (encore est-ce le cas seulement, semble-t-il, de l'un d'entre eux).
Une chose encore et ce sera tout pour aujourd'hui : ce qui fait l'importance de ce document dans la procédure, c'est qu'il est retenu pour servir de point de départ à l'accusation de complot... par prudence, sous l'influence des juges français pinailleurs (notamment Donnedieu de Vabres) et de leurs scrupules juridiques. Jackson, lui, voulait, et l'historien ne peut que lui donner raison, faire démarrer ce complot dans les années 20, avec notamment Mein Kampf comme pièce maîtresse. Le cher Olivier va sûrement donner raison au grand-père du ministre de la Culture de Chirac. Juridiquement ça se défend : comment mesurer au carré la responsabilité des gens que l'enchanteur Hitler piège dans ses discours ? Mais historiquement, le fait est qu'il les piège, et les enrôle dans ses crimes, notamment contre la paix. |