Bonsoir, Je crois qu'il faut distinguer le statut des Juifs et l'abrogation du décret Crémieux (donnant la nationalité française aux Juifs d'Algérie) comme deux marches d'un même escalier assez distantes, la seconde étant beaucoup plus basse que la première.
Dans la danse de séduction de Vichy vis-à-vis de Hitler, il y a d'un côté les gestes de bonne volonté, qu'on fait gratuitement ou presque pour "mettre en confiance", et puis la grosse artillerie, plus compromettante. Dans ce triste octobre, la plus haute marche est l'offre faite à Montoire de faire parler la poudre contre les Anglaise en AEF (découverte concomitante de Philippe Burrin et de moi-même en 1995-6). Le 18, le statut est un sacré pas. Retirer la nationalité en Afnord, beaucoup de pieds-noirs ayant mal encaissé le décret, c'est nettement plus anodin. (François) Dans le cadre de nos échanges sur l'autonomie de Vichy en matière de lois antisémites, l'anticipation de mesures à l'encontre des Juifs d'Algérie par rapport au "statut" conforte (à mes yeux) l'indépendance de Vichy par rapport aux nazis. En AFN, l'Allemagne n'était pas partie prenant et la métropole n'avait pas à se soucier des réactions des pieds-noirs. L'abrogation du décret Crémieux était souhaitée. Les autorités d'AFN la réclamaient en prétextant des troubles si des mesures antisémites n'étaient pas prises rapidement. L'argument fut repris par Weygand pour justifier sa rigueur à appliquer les lois d'exclusion.
Par contre, à Vichy, il fallait surmonter les obstacles juridiques d'une part et préparer l'opinion publique d'autre part. J'en arrive même à penser que le "statut" était dans les cartons de Raphaël Alibert avant même l'armistice et en gestation, lors des Conseils des ministres, dès les premiers jours de l'Etat Pétain.
Raphaël Alibert ? *** Monarchiste exalté, intégriste de l'antisémitisme d'Etat, passant pour un fanatique même auprès de ses collègues, le garde des Sceaux souhaite tut bonne ment traduire dans la loi l'esprit et la lettre du programme théorisé par Charles Maurras en 1911 : dénaturaliser tous les juifs français, leur rendre "leur nationalité de juifs" et, de ce fait, éliminer leur influence dans l'Etat. *** (Laurent Joly, Vichy dans la Solution finale)
Il serait intéressant d'examiner le parcours d'Alibert, antisémite viscéral et anti-allemand, son influence sur Pétain déjà avant la guerre, son rôle dans l'arrestation de Mandel accusé de complot, son rôle dans "l'affaire" du Massilia et l'arrestation de Mendès-France, Zay et à nouveau Mandel .... Nous aurons l'occasion d'y revenir. Pour enrichir notre discusison, j'ai découvert récemment une perle.
La pression exercée par la presse de zone nord (étroitement contrôlée par Abetz)... surtout quand elle relaye des publications d'outre-Rhin, est hélas à peu près entièrement négligée par les sourciers de la législation pétainienne.
Je viens d'en dégotter un échantillon assez éloquent, concernant notamment la franc-maçonnerie (une question, pour les nazis, connexe de celle des Juifs), mais aussi les journalistes, les intellectuels et bien sûr, en filigrane, les Juifs, ces éternels empêcheurs de bonnes relations franco-allemandes. C'est dans le Matin du 1er août 1940, citant la très officielle Deutsche Diplomatische Korrespondenz parue à Berlin la veille. Le journal français résume la prose de l'organe du ministère de Ribbentrop : il s'étonne que ne soient pas visés par le futur procès de Riom (censé juger les "responsables de la guerre")blockquote>"ceux qui ont semé la haine de Allemagne et l'aversion du gouvernement allemand dans le public français",puis cite directement la source germanique :"Du fait que ces milieux ne sont pas visés, l'instruction contre les coupables de guerre ne saurait inspirer aucune confiance à l'Allemagne, car certains agitateurs, à peine déguisés, peuvent se croire autorisés à continuer leur jeu. On ferait bien à Vichy de méditer à fond sur la portée de ces méthodes relativement à l'avenir de la nation française." Des textes, de la même veine, abondent dans les journaux d'avant-guerre.... relayant souvent des publications nazies. La Révolution nationale souhaitée avant guerre qui - "divine surprise" - peut s'épanouir à l'occasion de la débâcle avait de nombreux points de convergence avec le nazisme.
Bien cordialement,
Francis. |