Je donne acte à Arcole que cette vente s'adresse à des nostalgiques. La rédaction des notices en atteste :
Ce texte constitue une première mouture. La version définitive sera moins longue, tout en en reprenant l'essentiel. La phrase (déjà présente) désormais passée dans l'histoire : "C'est moi seul que l'histoire jugera", est précédée d'un ajout à la main : "c'est moi qui commande". Au- delà de certaines corrections de style, certaines biffures ont une réelle importance dans le contexte politique de l'époque. Ainsi, Pétain raye le mot "concrète" dans la phrase "il m'a proposé une collaboration concrète". Surtout, dans cette version, Pétain donne (en la développant) la raison qui l'a amené dans la voie de la collaboration : "C'est pour rendre moins lourd le poids de l'occupation, c'est pour accélérer le rapatriement de nos prisonniers, c'est pour atténuer la rigidité de la ligne de démarcation, que j'accepte aujourd'hui la collaboration qui m'est proposée par l'Allemagne". [Dans la version radiodiffusée, il emploiera la phrase laconique "que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration", préférant, en fait éviter "accepter", mot beaucoup plus fort. La comparaison entre les deux versions fait mesurer combien l'attention du Maréchal fut attirée par le poids des mots]. B - Brouillon du communiqué de presse de l'entrevue de Montoire. Important document autographe de l'Amiral Fernet (secrétaire général de la Présidence du Conseil), écrit sous la dictée du Maréchal (p in-8, en-tête "Présidence du Conseil"), daté de Vichy, 26 octobre 1940 (soit 2 jours après Montoire). En-tête, indication crayonnée en sténographie : "La Présidence du Conseil communique". "L'entretien qui a eu lieu le 24 octobre entre le Chancelier Hitler et le Maréchal Pétain s'est déroulé dans une atmosphère de haute courtoisie. Le Maréchal a été reçu avec les honneurs dus à son rang. L'entretien entre les deux chefs, qui a suivi, a donné lieu à un examen général de la situation et, en particulier, des moyens de reconstruire la paix en Europe. Les deux interlocuteurs se sont mis d'accord sur le principe d'une collaboration". Ici intervient une très importante correction de la main de Philippe Pétain. En effet, il biffe et corrige une partie de la phrase : "Le principe a été admis, les modalités d'application seront examinées ultérieurement", pour ne garder que : "Les modalités d'application en seront examinées ultérieurement", ne souhaitant pas ainsi insister plus qu'il ne faudrait sur le fait d'avoir accepté un accord avec l'occupant.
Ainsi, ce brouillon du discours du 30 octobre 1940 est présenté seulement, par les organisateurs de la vente, comme un premier jet : il ne différerait de la version prononcée que par un souci de concision et un désir d'atténuer le "poids" de certains mots parce que le maréchal en aurait pris conscience entre-temps.
Il s'agit en fait d'un changement notable d'orientation politique. Exit, l'idée que la France accepte sans réserve une collaboration proposée par l'ennemi. On laisse dans l'ombre la question de savoir qui l'a proposée et on laisse entendre que c'est la France de Vichy. Il s'agit de faire accroire que Pétain, et non Hitler, contrôle la situation. Mais pas seulement. Si on a d'abord fait un brouillon plus soumis, ce n'est pas parce qu'un brouillon c'est sans conséquence et qu'on y réfléchit ensuite. C'est qu'on était, dans un premier temps, plus soumis.
Là encore, comme pour le statut des Juifs, il y a du retard à l'allumage, et il est on ne peut plus passionnant de le scruter à la lumière de ce genre de vestige. La rencontre, provocante pour le sentiment national des Français, est du 24, le discours du 30 : quel abîme de perplexité et de doute est ainsi creusé ! Quelle faute politique... à moins qu'on ne puisse faire autrement !
Pétain se serait bien vu discourir le 26, voire le 25 au soir, après une après-midi vichyssoise consacrée à accorder les violons ministériels. Ce qui l'en empêche, c'est l'absence, du côté allemand, de toute annonce concernant les contreparties : de quoi que ce soit qui rende "moins lourd le poids de l'occupation", accélère "le rapatriement de nos prisonniers" ou atténue "la rigidité de la ligne de démarcation".
Le vieux maréchal a suffisamment appris son nouveau métier de politicien (à moins que ce ne soit sa méfiance atavique envers le Prussien qui joue) pour savoir qu'il ne peut opérer son virage sans la moindre assurance et il espérait apprendre dès le lendemain, par exemple, que les contrôles au passage de la ligne s'étaient allégés. Ou que les discussions quotidiennes de Wiesbaden (siège de la commission d'armistice) avaient tout d'un coup changé d'atmosphère et que, pour commencer, on avait bu à la collaboration le 25 au matin. Rien ne se passe. Cependant, on se refuse à comprendre que Hitler ne cherchait qu'une poignée de main médiatique et une nouvelle humiliation de la France sans contrepartie aucune, et qu'on s'est fait avoir dans les grandes largeurs. On préfère penser que sa bureaucratie a besoin de points sur les i pour que la détente de Montoire produise ses effets à la base de la pyramide. Alors on bricole un discours d'attente, qui engage moins, qui remet la balle dans le camp allemand.
Il y a donc clairement deux temps :
1) Vichy se prosterne plus bas que terre et s'apprête à proclamer son acceptation d'une collaboration proposée par l'Allemagne, ce qui ne peut guère signifier autre chose qu'une participation à son effort de guerre, sans exclure en rien le domaine militaire.
2) Aucune des compensations espérées ne s'esquissant, le discours se fait plus flou, sans qu'on embraye la marche arrière pour autant. Pour aboutir au discours final du 30 qui peut se résumer ainsi : "Vous n'y comprenez rien (à vrai dire moi non plus), mais c'est moi le chef, alors vos gueules !".
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