On dit généralement que le maréchal n'était pas antisémite et on en veut pour preuve les rapports convenables qu'il entretenait avec les "israélites" français qu'il mouvait côtoyer, avant 1940.
J'avais d'autant plus tendance à être influencé par ce point de vue que j'avais quelque peu débrouillé la question de la commande allemande (au sens hiérarchique et non commercial du terme) dans la genèse du statut du 18 octobre 1940.
Cependant, à présent que je travaille sur la captivité de Mandel, j'évolue vers une autre idée : il ne serait pas impossible que la fréquentation des nazis l'ait quelque peu contaminé -et peut-être aussi celles de gens comme Alibert ou Maurras. Et sans doute aussi son différend personnel avec Mandel, surgi peut-être au temps du ministère Clemenceau mais à coup sûr activé ou réactivé dans la période précédant l'armistice de 1940 (avec notamment l'épisode de l'arrestation du 17 juin suivie de la dictée d'une lettre d'excuses).
Sa réaction à l'assassinat de Mandel, livré par Hitler via Abetz à la Milice en représailles de l'exécution de Philippe Henriot, début juillet 44, est suggestive. Il ne dit rien alors que Laval tempête et quand près d'un mois plus tard il daigne protester il le fait dans des termes abracadabrantesques.
Le 6 août 1944, il écrit à Laval pour lui demander de mettre au pas Darnand, chef de la Milice et secrétaire d’Etat au Maintien de l’ordre. Ecrite alors que le front de Normandie craque et que la libération du pays est prévisible à brève échéance, cette lettre est visiblement destinée à couvrir son auteur, en dédouanant le régime qu’il a présidé pendant quatre ans de ses crimes les plus graves. Voici ce qu’il dit sur l’assassinat de Mandel :
Je citerai, pour clore cette énumération, l’assassinat par la Milice de M. Mandel et sans doute de M. Jean Zay ; sans préjuger de ce que pouvaient représenter ces hommes politiques, je m’associe à vous pour réprouver formellement une méthode que rien n’excuse.
Ces quelques lignes, ainsi que leur position (en avant-dernier point d’une énumération de forfaits qui en comporte neuf), n’en sont que plus révélatrices de la tiédeur des sentiments qu’il portait à la victime. En associant, d’autre part, son nom avec celui de Jean Zay, il laisse entendre que l’antisémitisme n’a pas été sans influence sur le choix, par Hitler, de ces deux victimes. Il devait sentir que, dans le fond, Pétain les jugeait un peu moins françaises que d’autres, et par suite, pour son nom et son régime, un peu moins déshonorantes : ce qui donnait tout son poids de chantage à leur exécution qui menaçait (Abetz dixit) d’être suivie par celles (par la "livraison à la France", disait Abetz) de Blum (juif certes -mais d'une famille plus anciennement assimilée que celle de Mandel, et ayant présidé le gouvernement de la France) et de Reynaud. Il ose parler en se pinçant le nez, quasiment devant leurs tombes ouvertes, de « ce que représentaient » les deux victimes. La différence avec la réaction de Laval, destinataire de ces lignes et invoqué par l’auteur, qui dit « s’associer » à cette réaction, est édifiante : le chef du gouvernement n’avait pas eu besoin d’ordres pour convoquer Darnand, près d’un mois avant cette lettre, lui dire qu’il ne croyait pas un mot de la thèse de l’attaque de la voiture transportant Mandel par des maquisards, qu’il pensait que la disparition de Zay faisait craindre pour sa vie et qu’il lui interdisait d’accepter la "livraison" de Blum ou de Reynaud.
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