Cher Monsieur,
Voici, en vous souhaitant bonne lecture, quelques éléments de réponse à vos questions.

1) Coutau-Bégarie et Huan (Darlan, Fayard, 1989, p. 593) détaillent le propos : le cable Alger-Marseille-Vichy fonctionne normalement jusqu'au 14 novembre 1942, date à laquelle les Allemands occupent Marseille. Aux messages cryptés par le code d'usage quotidien - entre l'Amirauté à Vichy et la Préfecture maritime d'Alger - s'ajoutent les messages les plus importants - ainsi celui dit de "l'accord intime" - qui furent, eux, cryptés suivant le code personnel de Darlan ainsi assuré que lesdits messages ne seraient lus que par ses plus fidèles collaborateurs. Au point que Vichy fera interner le 16 le capitaine de frégate Jouanin, A.D.D des plus proches et gardien du code personnel de son chef (cf. Darlan - La collaboration..., p. 257).

2) Nul ne saurait répondre avec précision à votre deuxième question. Evidemment Darlan comprend-il que l'accord du 10 novembre le place en position d'autorité en AFN. Toujours est-il que l'échange avec Juin, Fenard et Koeltz témoigne de ses fortes réticences ("Mes ordres sont clairs") et de sa volonté initiale de ne pas transgresser les ordres de Pétain, sans compter l'état d'esprit vis-à-vis de la carte allemande dont témoigne son télégramme de la veille abondamment commenté plus avant dans cette discussion. Pour une analyse sur le plan psychologique dans la situation de la première quinzaine de juin 1940 où votre question mérite également d'être posée - quoique dans un tout autre contexte - voyez ibid., p. 46-8.

3) La question d'une rivalité entre Darlan et de Gaulle au lendemain de la naissance du haut-commissariat en AFN - reconnue à l'évidence par tous - a été abordée par les principaux intéressés. Quant à Darlan, vous lirez ibid., p. 265 (avec des renvois en notes de bas de page à des textes publiés par Coutau-Bégarie et Huan in Lettres et notes de l'amiral Darlan...). De son côté, de Gaulle a analysé ces évènements dans L'appel (cf. Mémoires, Gallimard, coll. Pléiade, p. 310-5, 327-33, dont je me dis avec le recul que j'aurais pu l'indiquer en nbp).

Je me réjouis de la poursuite de cette discussion et de la renaissance du "vieux" lien, par exemple, concernant les protocoles de Paris. Car l'affaire signifie à mes yeux un axe de recherche beaucoup plus riche que celui d'Alger, en novembre 1942, où Darlan a essentiellement cédé sous la pression des évènements. En revanche, c'est à l'élaboration et au début de réalisation d'un projet prémédité, pesé dont rend compte le printemps 1941. De fait, les protocoles de Paris marquent une étape dudit projet dont il faut souligner la remarquable continuité de Montoire à la fin du gouvernement Darlan, et jusqu'au débarquement allié en AFN. En rédigeant son télégramme le 9 novembre 1942, nul doute à mes yeux que l'amiral, qui a appris le départ de Laval pour Munich, n'ait eu en tête ses propres entretiens avec Hitler et Ribbentrop tenus 18 mois plus tôt à Berchtesgaden. C'est ainsi dans son ensemble qu'il devient possible de se représenter la diplomatie de Vichy.