Permettez-moi, en me réjouissant de l'intérêt que vous portez à la question, de vous préciser que mon travail, qui ne constitue pas une biographie de l'amiral au sens classique du terme, est directement lié à la problématique de la collaboration avec pour éclairage principal l'étude de la diplomatie de Darlan ou, pour reprendre une expression de l'ouvrage, de "la collaboration à la Darlan". Avec pour conséquence, du côté français, des renvois réguliers aux politiques de Pétain et de Laval en miroir du jeu de Darlan. L'étude, sur ce plan, critique et poursuit les travaux d'Henri Michel (
Pétain, Laval, Darlan, trois politiques ?, Flammarion, 1972) et de Robert Frank ("Pétain, Laval, Darlan", in
La France des années noires, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Pierre Azéma et François Bédarida, Seuil, éd. 2000, tome I) qui abordent de manière spécifique la question.
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Bref, mon travail devrait, normalement, intéresser quiconque soucieux d'appréhender le phénomène de collaboration. Laquelle, telle qu'elle y est exposée, représentait le moyen/levier du "projet de remaniement du lien franco-allemand", ou de "projet de rapprochement avec le Reich" pour reprendre là encore des expressions de l'étude. Quant aux réserves que vous exprimez vis-à-vis du mot lui-même "collaboration", le problème est que nous n'avons pas d'autre choix que de préciser, étude après étude, ce que le concept signifiait dans l'esprit des uns et des autres, le mot figurant comme chacun sait dans le texte de l'armistice franco-allemand ainsi que dans le discours de Pétain prononcé après la rencontre de Montoire et, de suite, dans des milliers de documents d'archives françaises et allemandes.
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Alors nous nous rejoignons sur l'essence de la collaboration "à la Hitler", écrivez-vous, et je m'en réjouis. Mais je me dois encore de vous informer en conclusion de ces lignes, quant au point de vue de Vichy, que mon travail s'attache à détruire l'image que vous présentez, selon laquelle une "
équation de la neutralité [aurait] gouverné la France de Laval, et par la même occasion la France de Darlan".
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En l'occurrence, je tente de montrer tout le contraire, c'est-à-dire l'abandon progressif de la politique de neutralité mise en avant par le gouvernement Pétain au lendemain de l'armistice. Deux extraits de journaux tenus au quotidien par de hauts fonctionnaires de Vichy pour vous mettre l'eau à la bouche si vous voulez, en ce sens où ils contredisent frontalement cette "équation de la neutralité". Le haut fonctionnaire Lavagne, chef du cabinet civil de Pétain, qui traite accessoirement Darlan de "fou", dénonce au lendemain du renvoi de Weygand une neutralité "à sens unique" où Vichy se tient "toujours prêt à se battre contre les Anglo-Saxons ou leurs alliés", mais "cède tout" à l'Axe. Quelques mois plus tôt, à l'heure des grands choix du printemps 1941 qui mèneront à la signature des protocoles de Paris et à la guerre de Syrie, le diplomate Rochat, qui assistait Darlan au quotidien à Vichy (en lui taisant sa propre analyse de la situation), était plus sévère encore envers celui qui "prenait ses désirs pour des réalités" : collaborer, écrivait Rochat, revient à faire une "politique de guerre" et, ce faisant, à faciliter la victoire du Reich contre les intérêts de la France.
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Quitte, si j'ose poursuivre, à la faire chavirer.