Il faut se méfier des arguments trop réducteurs quand on veut comprendre les rapports ambigüs, contradictoires et délicats qu'entretiennent les créateurs avec leur temps, surtout si ce temps est en crise ou en guerre.
Durant les années 70 et au début des années 80, une dictature intellectuelle d'extrême-gauche régissait le bien lire et le bien voir dans les lettres et le cinéma. On ne parlait pas encore de ce "politiquement correct" mais la tendance "freudo-structuralo-marxiste" dominait la critique et écrasait souvent le débat sur le rôle et la responsabilité de l'artiste dans son époque. Ils et elles croyaient pouvoir liquider le problème en affirmant par exemple : "Drieu est un écrivain fasciste, il n'a aucun intérêt littéraire, on l'oublie !" (Parce qu'il fut fasciste, il n'a aucun talent ?!) Pire, des auteurs étaient tout simplement ignorés : ils n'existaient pas... une pratique stalinienne, cette réécriture de l'histoire de la littérature. On ne peut pas évacuer des écrivains de talent sous prétexte qu'ils ne se sont pas bien comportés entre 40 et 44.
Pour le cinéma, c'était un peu plus compliqué : on savait que quelques acteurs (Préjean, Darrieux,Le Vigan...) avaient fait le voyage en Allemagne à la demande de Goebbels relayée par l'incontournable Abetz, mais pour les réalisateurs, c'était plus compliqué. Ce que raconte bien Tavernier danns "Laisser-passez", c'est le dilemne où se débattaient les talents du cinéma : fallait-il se taire, refuser d'écrire et de tourner ou alors, en jouant un partie subtile, continuer à faire vivre cette qualité française reconnue mondialement afin de maintenir le moral de la population, quitte à accepter de vendre des scénarii au diable...mais sans lui vendre son âme ? Certes Tourneur ou Clouzot eurent à s'expliquer à la Libération; ils avaient accepté de mettre en images certains des slogans de la Révolution nationale mais bon, il n'y avait pas de quoi fouetter un chat si on revoit leurs films avec un peu de distance. Contrairement à la littérature occupée où des écrivains prirent des positions ultras (Brasillach, Drieu, ...), il n'y eut pas de films ouvertement nazis ou collabos durant les 4 années de l'occupation. Qu'un parfum vichyste subsiste dans quelques unes des oeuvres, on ne peut le nier mais les créateurs des chefs-d'oeuvre produits à l'époque ont su rester sagement éloigné du genre de propagande, se contentant de raconter des histoires "apolitiques" situées au Moyen-Age ou au XIXe siècle.
Que pouvaient faire les gens de cinéma qui avaient choisi de rester pour défendre leur métier et leur art ?
Amicalement,
René |