Bonsoir Jacques, bonsoir à tou(te)s,

Document :

M'ieur le commissaire de police,

Ya Ghémard, vous savez le vilain barbu de la Rue du Pont, ya ses roses trémières qui sont plantées à 50 centimètres de la ligne mitoyenne avec ma propriété. Et bien ces roses trémières y font bien 3 mètres de haut. Vous savez bien M'sieur le commissaire que dans le code rural il est écrit noir sur blanc que les plantes de plus de 2 mètres de haut doivent se trouver à 3 mètres du mitoyen.
Et je vous dis pas tout parce que dans sa prairie, ya plein d'animaux qui puent et qui font un de ces raffuts, je vous dis que ça.
Mes respects mon commissaire.
Franleu, citoyen modèle.

Légalement Franleu est en droit de dénoncer son voisin Ghémard qui ne respecte pas le code rural ! Mais est-ce une démarche citoyenne alors que Franleu n'a même pas tenté une conciliation à l'amiable dans l'hypothèse où les roses trémières font de l'ombre à ses radis et salades ?
Je m'inquiète - et tu l'auras compris - de l'engrenage dans lequel le citoyen - souvent de bonne foi - risque d'être entraîné par manque de repères ou, pour utiliser une expression à la mode, par "estompage de la norme". La "dénonciation", s'exerçant dans un cadre légal très strict, est bien entendu indispensable comme dans le cas que tu relates.

Recadrons notre échange de vue dans le champ historique de LdG en rappelant brièvement ce que les historiens ont appelé "la rumeur de septembre 1936".
1936 ! Le Front populaire est au pouvoir ! La guerre civile sévit en Espagne ! La France est profondément divisée !
Le 2 septembre, "L'Eclair" de Montpellier, journal de la droite nationaliste, publie en première page une lettre ouverte aux préfets de la région en faisant état d'un complot sous l'autorité de "chef des soviets" de Gérone et de Figueras en Espagne. Toute la presse conservatrice s'empare de "l'info" et diffuse les bruits les plus alarmants. Bientôt circule une liste de personnalités qui seront exécutées par les communistes lors de l'insurrection. La rumeur se répand de régions en régions. La liste s'allonge ! Les autorités appellent à la vigilance. La psychose de la peur s'installe. Le gouvernement à Paris s'émeut et accorde crédit à la rumeur puisque la plupart des préfets font état d'informations recueillies de source sûre, etc...etc...
Là où je voulais en venir ! Cette logique de la peur entraîne mécaniquement les citoyens dans l'engrenage de la délation, réflexe de défense face au danger potentiel. S'enclenche ensuite le cycle des arrestations arbitraires, etc....

Hors charte ! Je me pose une question ? Le vilain barbu là de la rue du Pont ! Pourquoi il porte une barbe ? On se le demande ? J'ai rien dit mais on peut se poser la question tout de même ?
Et voila, les ragots vont aller bon train, la rumeur va s'amplifier.....
T'inquiète pas ! Franleu t'enverra des oranges ! §;-))

Bien cordialement,
Francis.