Curieux. Je pensais que la balle était dans le camp nicolien. Faute de riposte, je reposte (en améliorant quelques formulations et en gommant des éléments secondaires) :
Sur la question soulevée à propos du livre de Laurent Joly, que dire puisqu'on reconnaît que le passage me concernant est bâclé ? Ce n'est pas encore cette fois-ci que mon livre sur Montoire (1996), fort bien résumé à sa sortie par Azéma et Wieviorka, fera au XXIème siècle l'objet d'une glose intelligente et encore moins d'une critique qui porte. A mon grand regret.
Se fondant sur un résumé, Joly déforme ma thèse pour la déclarer fantaisiste : je ne puis que souscrire ! et j'ai souscrit.
De quoi s'agit-il ? de la genèse du premier statut des Juifs (18 octobre 1940). Je la déclare fort obscure... et suis rejoint en cela par Joly. Parmi les jalons qui éclairent un bout de la route, il y a le JO du 18, d'après lequel le statut a été adopté le 3 en conseil des ministres. Le premier (et l'un des rares pour l'instant), j'ai mis cela en doute, en invoquant une raison simple : qu'il soit ou non fait pour plaire à l'Allemagne, Vichy sait bien qu'elle y sera attentive, et qu'il va dans son sens : antidater peut être jugé de bonne politique. Par ailleurs, à cette période (mais je l'ai déjà dit dans le fil), les lois de Vichy sont publiées de un à quatre jours après leur adoption, suivant qu'il y a ou non un week-end.
Il y a donc soit antidatation, soit retard de publication, soit une combinaison des deux. Et il y a, pour le moins, une hésitation, comme en témoigne la note de "MC" en marge d'un brouillon du discours pétainien du 9 : "pas encore, le pays n'est pas antisémite et Paris se contente des mesures" contre avocats et médecins.
Joly, qui cite cette note importantissime, la lit de travers : il interprète ce "Paris" comme désignant non des autorités allemandes mais des Français sans pouvoir, les ultras de la collaboration parisienne (dont Pétain et ses conseillers tiennent notoirement peu compte alors qu'ils sont suspendus aux désirs des Allemands) ou, plus étrangement encore, les militants antisémites du barreau de Paris.
De toute manière, connaissant mon livre qu'il cite dans sa biblio (en plus du résumé), il devrait discuter ma lecture (Paris = Abetz) puisqu'il discute ma thèse.
Joly affirme, non sans confusion, que le statut a été adopté en conseil le 3... tout en disant qu'il a encore été discuté par la suite. Il y aurait donc d'après lui un retard de publication, et il l'explique, comme l'indique Nicolas, par des négociations connexes Vichy-Allemagne. Il indique là-dessus des sources... qui parlent de ces négociations mais ne disent nullement qu'elles retardent la publication du statut : c'est le type même de l'hypothèse spéculative, permise bien sûr au chercheur, à condition toutefois qu'il en soit conscient et qu'il le dise.
Pour ma part donc, j'en reste à l'idée que l'affaire est obscure et embrouillée, qu'Abetz suit la question de près, que la proclamation de la Révolution nationale les 9 et 10 octobre est un premier geste destiné à placer sous les meilleurs auspices la rencontre demandée à Hitler depuis juillet et qui semble enfin se profiler début octobre (après la "bonne tenue" des vichystes à Dakar fin septembre), et que le statut des Juifs, enfin lâché le 18 après 3 semaines de valse-hésitation, en est un second. |