"D'ailleurs en cherchant bien, je suis certain qu'on trouverait cette affirmation inversée dans un fil ou un autre. ;)", écriviez-vous.
Je vous ai un peu pris au mot, ce qui m'a amené à relire vos messages admir... évoquant Jean-Marc Berlière. J'y ai, à deux reprises, trouvé l'expression "Faut pas désespérer Billancourt", expression que l'on retrouve d'ailleurs dans l'ouvrage litigieux dudit Jean-Marc Berlière (co-écrit avec Franck Liaigre) consacré - en apparence - à Guy Môquet.
Voyez vous, me méfiant quelque peu des idées reçues en général et des citations sorties de nulle part en particulier, j'ai cherché à vérifier ce "Ne désespérons pas Billancourt", que vous attribuiez imprudemment à Aragon (il est vrai en l'assortissant d'un point d'interrogation). C'était là une première erreur de votre part, car si Aragon a chanté la gloire du Guépéou, la police politique soviétique, il n'est pas l'auteur du propos sur Billancourt, lequel est en fait presque issu de Jean-Paul Sartre, l'homme qui n'aimait pas les "chiens" (propos aimable désignant à ses yeux un anticommuniste).
Presque, en effet, dans la mesure où cette expression figure bien dans une oeuvre de Sartre, mais pas sous cette forme exacte, et, par conséquent, n'a pas le sens qui lui est souvent accordé, à savoir qu'il s'agirait de cacher aux masses laborieuses les crimes de l'U.R.S.S. et les errements en tous genres du P.C.F. Je l'avoue, la personnalité de Sartre, ce subtil intellectuel qui s'est compromis jusqu'au cou auprès des dictatures communistes, pouvait certes prêter à un tel malentendu.
Mais qu'en est-il réellement ? Pour s'en rendre compte, il suffit de consulter une vieille pièce de Sartre écrite dans les années cinquante et sobrement intitulée Nekrassov (qui sera d'ailleurs un échec), plus exactement le début de la scène VIII, du cinquième Tableau. Qu'y voit-on ? Un escroc, Georges de Valera, se fait passer pour un ponte soviétique ayant réussi à passer à l'Ouest, et, depuis, vend ses révélations anti-soviétiques à la presse, ce qui le conduit à proclamer ses motivations : "Désespérons Billancourt !"
Bref, la phrase émane d'un individu qui, chez Sartre, incarne le déchet intégral, le faux dissident, l'anticommuniste cynique et profiteur, ce qui témoigne sans doute d'une certaine détestation sartrienne de l'authentique dissident Victor Kravchenko, dont les mémoires parus sous le titre J'ai choisi la liberté lui avaient valu d'être traîné dans la boue par le P.C.F. et ses émanations. En d'autres termes, le cri du coeur du personnage de cette pièce correspond à un désir d'ensevelir les masses laborieuses sous une avalanche de bobards censés dépeindre l'U.R.S.S. sous les traits les plus défavorables pour, précisément, désespérer le prolétariat. Sartre se posait ici en contempteur de ce qu'il qualifiait de propagande anticommuniste.
Dans ces conditions, non seulement la phrase "Ne désespérons pas Billancourt" est apocryphe, mais sa version originale ne saurait revêtir la même signification, du moins dans le contexte de sa rédaction. |