A propos des intérêts contradictoires entre le MBF et Abetz à l'été 40, Barbara Lambauer écrit (p.200) :
Un fait doit être souligné : l'attitude indéniablement hésitante et "sécuritaire" des services du MBF à Paris montre qu'à l'été 1940 les mesures antijuives ne sont pas prioritaires pour l'occupant. Contrairement aux affirmations émises encore récemment par des historiens allemands, ce n'est donc en aucun cas le service de Werner Best qui trace les premières initiatives dans ce domaines. De fait, les démarches de Abetz en la matière sont tout à fait inouïes au regard de sa modération telle qu'elle est présentée dans l'historiographie et relèvent bel et bien de son initiative personnelle.
A ce moment de sa carrière, Abetz est un des favoris du Führer qui l'a reçu à Berchtesgaden fin juillet (1940).
Leur discussion aborde la question des juifs en France. Selon Barbara Lambauer, Hitler fait part à Abetz de son intention de chercher une solution générale à la question juive en Europe, qui consisterait dans l'évacuation, après la guerre de tous les juifs. Confidence qui, pour citer l'historien Joseph Billig, n'est pas "chose courante" en cet été de 1940. Abetz, honoré par la confiance de son Führer, a toute raison de prendre l'information très au sérieux et d'en faire le pivot de son activité dans ce domaine.
On voit donc qu'Abetz entame son action antisémite à Paris pour la zone occupée de sa propre initiative après une conversation avec Hitler, en dehors de la hiérarchie de son ministère et en coupant l'herbe sous les pieds de son chef Ribbentrop dont le bureau envoie un accusé de réception "étonnamment impersonnel", selon sa biographe.
Là-dessus, les services de Gœring s'agitent à propos des questions d'expropriations. Enfin, ceux d'Himmler et d'Heydrich, informés par le sous-secrétaire d'Etat Martin Luther de l'initiative d'Abetz, s'en mêlent, estimant que tout ce qui a trait à la mise à l'écart des juifs de la société française est de leur ressort. C'est le SS-Sonderführer Theo Dannecker, à la tête d'une unité de "spécialistes" qui est envoyé à Paris. Le RSHA n'a sans doute pas l'intention de laisser le champ libre à l'ambassade dans un domaine qui est en principe le sien. (p. 201)
Cela pour souligner une fois encore qu'Otto Abetz fut bel et bien dès l'été 1940 en pointe dans la politique antisémite, avant même son ministre et les services d'Himmler et d'Heydrich. Un zèle étonnant pour celui qui chercha - et parvint - à passer ensuite pour un modéré.
Bien cordialement,
RC |