L’ambivalence du Général Franco envers les Juifs : 1940-1944 - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

L’ambivalence du Général Franco envers les Juifs : 1940-1944 de Francis Deleu le mercredi 05 février 2014 à 10h56

Bonjour,

L'article que Marc-André Charguéraud nous confie ce mois-ci devrait surprendre nos lecteurs. Lesquels savent que Franco après avoir rendu son pays « Judenfrei » a accepté que l’Espagne serve de transit vers la liberté à de nombreux Juifs tout en en refoulant certains ?
***************
L’ambivalence du Général Franco envers les Juifs : 1940-1944.

Parmi les pays neutres d’Europe, l’Espagne de Franco a permis le sauvetage du plus grand nombre de Juifs. Alors que 21 000 Juifs se sont réfugiés en Suisse, 50 000 Juifs ont transité par l’Espagne vers la liberté.[1] Deux situations qui ne sont pas comparables. Les Juifs fuient avant tout vers l’Espagne d’où ils peuvent continuer leur voyage au-delà des mers. La Suisse reste pour eux un refuge sans issue, dangereusement et régulièrement menacé d’invasion par la Wehrmacht. [2]

Pour un Juif l’Espagne est pourtant un pays hostile, où il ne faut pas s’attarder. Les 6 000 Juifs qui se trouvent en Espagne au début de la guerre civile ont tous dû s’exiler et le pays en 1939 est pratiquement « sans Juifs». [3] Le général Franco n’oublie pas que 8 000 Juifs étrangers ont combattu contre lui dans les rangs des brigades internationales. [4] En mars 1939, l’Espagne a conclu un pacte avec l’Allemagne qui rapproche les deux pays sur les plans politique, militaire, et économique. Ce même mois, l’Espagne signe le pacte Anti-Komintern qui lie l’Allemagne, l’Italie et le Japon contre le communisme. A partir de fin juillet 1941, 47 000 volontaires de la division Azul combattent avec les Allemands sur le front russe. [5] Autant de circonstances inquiétantes qui forcent les Juifs, qui ont réussi à y arriver, à quitter l’Espagne de Franco aussi rapidement que possible.

Le désastre les a guettés à l’automne 1940. Le 13 octobre, Hitler a rencontré Franco à Hendaye. Le Führer insiste alors, sans succès, pour que ses troupes puissent passer par l’Espagne établir des bases opérationnelles pour attaquer Gibraltar et envahir l’Afrique du Nord. [6] Les tortionnaires de la Gestapo ont toujours suivi l’arrivée de l’armée allemande.

L’Espagne, un pays dévasté par des années de guerre civile, n’est plus qu’une nation ruinée et affamée. Plus de 100 000 républicains espagnols encore réfugiés en France créent un climat de suspicion envers les Juifs qui arrivent. Le gouvernement de Franco n’a pas les moyens matériels d’en accueillir un grand nombre. Ils doivent, selon l’expression du ministre des Affaires étrangères, passer dans « notre pays comme la lumière passe à travers le verre, ne laissant aucune trace (…) en aucune circonstance nous ne permettrons aux Juifs de rester en Espagne». [7] Cette convergence des intérêts de Franco et des réfugiés est malheureusement très insuffisante pour assurer le salut d’un maximum de Juifs. Encore faut-il qu’ils puissent fuir l’Europe occupée, qu’ils aient trouvé un pays de destination finale et que Franco ne les aient pas refoulés.

Les visas espagnols, portugais, américains et les titres de transport nécessaires pour traverser légalement la frontière espagnole sont difficiles à obtenir. En France l’amiral Darlan, Premier ministre, déclare pourtant le 25 juin 1941 que « tout doit être mis en œuvre pour le départ des Juifs à l’étranger ». [8] Pierre Laval qui lui succède le répète quelques mois plus tard. [9] Mais au fil des mois les obstacles vont se multiplier.

Aux Etats-Unis, Frida Kirchway écrit dans The Nation le 28 décembre 1940 : « Le Département d’Etat ne refuse pas les visas. Simplement, il met en place une ligne d’obstacles qui s’étend de Washington à Lisbonne et Shanghai ». [10] En juillet 1941 tous les consulats américains en Europe occupée sont fermés. Les demandes de visas sont désormais traitées à Washington où des mois sont nécessaires pour qu’une décision soit prise. L’attente est insupportable et souvent, lorsque le visa arrive enfin, il est trop tard, le demandeur a été arrêté et déporté. Ce visa sera dorénavant refusé à tout candidat « dont un parent au premier degré (…) réside encore dans un territoire sous le contrôle d’un gouvernement qui est opposé à la forme de gouvernement des Etats-Unis ». [11] Toute l’Europe occupée est concernée.

Malgré la guerre le Reich continue de précipiter les Juifs sur les routes en les privant de tout moyen de vivre. Un terme est mis à cet exode le 20 mai 1941 avec l’interdiction de départ de tous les territoires occupés. [12] Le 23 octobre cette interdiction s’étend à tous les Juifs du Reich. [13] A l‘expulsion succède l’anéantissement.

Vichy a soumis les Juifs sur le départ à l’obtention d’un visa de sortie dans des conditions administratives difficiles. Fin juillet 1942 Vichy annule tous les visas de sortie. [14] La période de sauvetages légaux se termine. A la suite de l’occupation de la France en novembre 1942, l’armée allemande boucle la frontière des Pyrénées. A quelques exceptions près, la frontière ne peut plus être franchie qu’illégalement, en prenant tous les risques que cela comporte. Les chiffres en témoignent. 40 000 Juifs arrivent en Espagne de juin 1940 à novembre 1941, seulement 11 000 les trois années suivantes. [15]

Trois groupes de Juifs ont été « illégaux » depuis le départ. Les apatrides, les hommes en âge de porter des armes et des militaires alliés, prisonniers en fuite. Tous ces clandestins doivent quitter l’Espagne dans les jours qui suivent leur arrivée sinon ils sont emprisonnés dans des conditions très dures dans le trop fameux camp de Miranda de Ebro. [16]

Tous les fugitifs « illégaux » ont besoin de secours pour survivre et d’aide pour obtenir des documents leur permettant de poursuivre leur voyage. Les organisations caritatives juives américaines malgré leur bonne volonté n’arrivent pas à des résultats tangibles. Le gouvernement de Madrid s’oppose à leur installation. [17] Carlton Hayes, l’ambassadeur américain à Madrid, refuse d’intervenir. Washington lui a enjoint de prendre les mesures nécessaires « au succès de la guerre et s’abstenir de participer à toute forme d’opération de soutien humanitaire ». Il doit d’abord prendre en charge les prisonniers alliés et les résistants français et polonais en âge de se battre. [18]

Le comportement de l’Espagne est blâmable à d’autres titres. Madrid a renvoyé des réfugiés juifs après qu’ils aient franchi la frontière. [19] Arrêtés à leur retour en France, leur sort est scellé. En mars 1943, sous la pression des Allemands, l’Espagne ferme sa frontière. A l’époque, cela revient à refouler les arrivants qui deviennent la proie facile de la Gestapo. [20] Le 7 avril, Winston Churchill intervient et menace l’Espagne : « Si le gouvernement espagnol va jusqu'à refouler ces infortunées personnes cherchant à échapper aux horreurs de la domination nazie, et s’il allait plus loin et commettait l’infamie de les livrer aux autorités allemandes, ce serait la fin définitive de nos bonnes relations ». [21] Prudent, Franco cède. L’Espagne, exsangue, a besoin de plus d’un million de tonnes de grains et de pétrole et seuls les Alliés sont à même de les lui fournir. [22]

Franco n’est pas plus accueillant avec ses propres nationaux. Fin 1942 la Gestapo donne jusqu’au 31 mars 1943 aux pays neutres pour rapatrier leurs ressortissants juifs vivant dans les territoires occupés, après quoi ils subiront le sort des autres. Le délai est plusieurs fois repoussé, Madrid n’étant manifestement pas pressé de sauver ses Juifs émigrés à l’étranger depuis de longues années, mais toujours inscrits sur les registres des consulats espagnols. Ils sont 3 000 en France que Madrid aurait dû accueillir. Le gouvernement espagnol réduit ce nombre à 350 et seuls 250 arrivent en Espagne. [23] Les quelque 600 à 700 Juifs sépharades de Grèce, qui ont conservé la nationalité espagnole, ne connaissent pas un sort meilleur. L’Espagne tergiverse et fin juillet 1943 les Allemands, n’obtenant pas de réponse, déportent au camp de concentration de Bergen Belsen tous ceux qu’ils peuvent arrêter. Une quarantaine de Juifs y trouvent la mort. [24]

Les Alliés et au premier rang les Etats-Unis auraient dû accorder des visas plus libéralement et s’engager dans une politique volontaire de soutien aux Juifs qui fuient les nazis. Franco aurait dû ouvrir ses frontières à tous ceux qui y parvenaient, bravant tous les dangers. Des dizaines de milliers de Juifs supplémentaires auraient alors échappé à la Gestapo et auraient été sauvés.


[1] BAUER Yehuda, American Jewry and the Holocaust : The AJJDC 1930-1945, Wayne State University Press, Detroit, 1981, p. 48. Le chiffre de 50 000 comprend les quelque 10 000 Juifs qui transitèrent en juin-juillet 1940 avec des visas pour le Portugal délivrés sans l’autorisation de Lisbonne par Aristides de Sousa Mendes, consul du Portugal à Bordeaux. LUDWIG Carl, La politique pratiquée par la Suisse à l’égard des réfugiés au cours des années 1933- 1945, Rapport adressé au Conseil Fédéral, Berne, 1957, p. 356. 12 000 en Suède.

[2] LUDWIG, op. cit. p. 37 Les réfugiés en Suisse peuvent jusqu’à l’occupation allemande de la zone libre française (Novembre 1942) fuir vers l’Amérique. Seuls 638 y sont arrivés, l’administration de Washington ne leur délivrant pas de visas, car les Juifs réfugiés en Suisse ne sont pas considérés comme en danger.

[3] AVNI Haim, Spain , the Jews and Franco, The Jewish Publication Society of America, Philadelphia,1982. p. 45. Rappelons que l’importante communauté juive espagnole fut expulsée du pays en 1492.

[4] AVNI Haim in GUTMAN Israel, Ed. Encyclopedia of the Holocaust, MacMillan Publishing Company, New York, 1990, p. 1390.
[5] AVNI. op. cit. p. 56 et 60.
[6] IBID. p. 59.
[7] IBID. p. 182. Comte Francisco Gomez Jordana Y Souza le 28 décembre 1943 à propos du retour des Juifs hispaniques vivant à l’étranger..

[8] KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, Paris, 1991, p. 144. Les raisons de cette politique ne sont pas humanitaires mais économiques et xénophobes.

[9] MARRUS Michael et PAXTON Robert, Vichy et les Juifs, Calmann-Levy, Paris, 1981, p. 347.

[10] FEINGOLD Henry, The Politics of Rescue : The Roosevelt Administration and the Holocaust, 1938-1945, Rutgers University Press, New Brunswick, N.J. 1970, p. 148.

[11] MORS Arthur D, While Six Millions Died : a Chronicle of American Apathy, Random house, New York, 1968, p. 300.

[12] MONNERY Henry, La persécution de Juifs en France et dans les autres pays de l'ouest présentée à Nuremberg, Editions du Centre, Paris, 1947, p. 53.

[13] MARRUS Michael R., The Holocaust in History, University Press of New England, Hannover N H, 1987, p. 36.

[14] AVNI, op.cit., p. 75
[15] IBID. p. 186
[16] IBID. p. 77.
[17] IBID. p. 77. Cette politique exclut en particulier le JOINT et le War Refugee Board. 115 En avril 1943, les Esp7agnols assouplissent leur position et autorisent une présence limitée de l’American Relief Organisation qui regroupe différents groupes américains.

[18] BREITMAN Richard, KRAUT Alan, American Refugee Policy and European Jewry , 1933-1945, Indiana University Press, Bloomington, 1987, p. 205.

[19] AVNI, op.cit. p. 77 et 180. « Il n’y a pas d’information sur l’ampleur que prirent ces expulsions. »

[20] BREITMAN et KRAUT, op. cit. p. 206.

[21] AVNI, op. cit. 104.
[22] IBID p. 63. En août 1940 et fin 1941, les Espagnols avaient déjà fermé pendant quelques semaines la frontière.
[23] IBID, p. 131
[24] IBID, p. 139

[25] FEIN Helen, Accounting for Genocide : National Responses and Jewish Victimization during the Holocaust, New York Free Press, New York, 1979, p. 190.


Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève, 2014. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source

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