Le bouquin de feu Joachim Hoffmann - d'ailleurs traduit par l'éditeur négationniste Akribeïa, géré par Jean Plantin, individu au passé chargé et au présent grotesque - est absolument inutilisable.
Jusqu'à sa mort, Hoffmann s'inscrivait nettement dans une tendance "nostalgique", dite de la "cause perdue", décrivant la
Wehrmacht comme menant une "guerre propre" contre le bolchevisme, forcément fourbe et sanguinaire. Naturellement, Hoffmann s'est fait le promoteur de la théorie du "brise-glace", selon laquelle l'opération
Barbarossa aurait devancé une invasion de l'Europe par l'Armée rouge. Il a également véhiculé à l'encontre des Soviétiques une rhétorique s'inspirant nettement des stéréotypes nazis, présentant les
Frontoviki comme des analphabètes terrorisés par leur propre régime, massacrant et torturant systématiquement les braves prisonniers de guerre allemands avant de s'en prendre - tout aussi systématiquement, bien sûr - aux civils d'Allemagne orientale en 1944-1945. Généralisations abusives et citations "choc" font office de démonstration.
Hoffmann aurait pu en rester là, mais l'incompétence et la mauvaise foi du bonhomme le conduiront à verser dans le négationnisme pur jus. On le verra notamment
cautionner un torchon négationniste de la pire espèce, pondu par le néo-nazi Germar Rudolf. On retrouve dans
La guerre d'extermination de Staline la trace d'un certain nombre d'allégations bien connues du milieu négationniste, telles que la minimisation frauduleuse du bilan mortuaire d'Auschwitz: il me paraît évident que l'opus de Rudolf en a fortement influencé la trame et la structure argumentative.
Minimisation frauduleuse, disais-je. Car Hoffmann faisait grand cas du chiffre de 74.000 déportés décédés au camp d'Auschwitz, d'après les registres tenus par les S.S., embarqués par les Soviétiques en 1945 et déclassés à Moscou en 1992. Mais c'était oublier - sciemment - que les "registres" S.S. d'Auschwitz n'incluaient que les morts faisant partie de la catégorie des prisonniers dûment enregistrés par tatouage à leur arrivée au camp, soit de 15 à 30% des convois de déportés. Lors des sélections à l'arrivée des convois, les nazis faisaient le tri entre les "aptes" au travail (hommes pour la plupart, ni trop jeunes ni trop agés pour la plupart) et les "inaptes" (femmes, enfants, personnes âgées). Les "inaptes" étaient envoyés directement aux chambres à gaz, sans être enregistrés.
A noter également : la plus grande partie des registres ont été détruits par les S.S avant l'arrivée des Soviétiques. Les "74.000" ne représentent donc qu'une petite partie des prisonniers (c'est à dire les esclaves enregistrés à leur arrivée au camp)
enregistrés et
assassinés. Curieusement, Hoffmann concède ce point, sans commentaire, tout obsédé qu'il est par l'idée de réduire au maximum le nombre de déportés tués à Auschwitz - quitte à manipuler certaines recherches historiques pour ne retenir que la fourchette la plus basse, et la réduire encore davantage. Sur le véritable bilan mortuaire d'Auschwitz, je renvoie le lecteur à
cet article de phdn.
Le plus inquiétant est ailleurs. Hoffmann a pu abuser nombre d'historiens alors qu'il ne faisait guère mystère de son idéologie. Sans doute sa connaissance de la langue russe, et ses précédents travaux sur les volontaires soviétiques dans l'armée du
Reich ont-ils pesé dans cette sous-estimation du personnage. Le fait est qu'Hoffmann est parvenu à faire partie du comité de rédaction de l'ouvrage collectif
Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg, rédigé par l'Institut de Recherches en Histoire militaire de la
Bundeswehr de 1979 à 2008, et à contribuer à l'élaboration du volume IV de cette oeuvre, consacré à l'invasion de l'U.R.S.S. Hoffmann est en outre l'auteur d'un chapitre du livre collectif supervisé par Bernd Wegner,
From Peace to War: Germany, Soviet Russia and the World, 1939-1941, Berghahn Books, 1997. De toute évidence, cette taupe d'extrême droite a creusé très profond...