Bizarre que vous ne vous en aperceviez pas, mais il existe pourtant une excellente raison, pour Hitler, de laisser croire que Hess agit de sa propre initiative.
A la même époque, le Führer s'efforce de faire croire à Staline que l'essentiel de l'effort de guerre allemand est dirigé contre la Grande-Bretagne, et que les concentrations militaires de la Wehrmacht à la frontière germano-soviétiques n'impliquent pas une invasion imminente de l'U.R.S.S. Une intox' menée de main de maître, puisque même les services de renseignements britanniques et, par contre-coup, le Foreign Office, tomberont dans le panneau.
En d'autres termes, si Staline vient à apprendre que Hitler appuie la mission de Rudolf Hess, quel qu'en soit l'aboutissement, toutes les manoeuvres nazies d'induction en erreur des Soviétiques tombent à l'eau, car de nature à révéler les véritables intentions du Führer. A supposer que Hess échoue, il est facile à Hitler de le désavouer et de le faire passer pour fou - ce qu'il fera. Et à supposer que la Grande-Bretagne se laisse convaincre par Hess, et signe la paix en mai ou en juin 1941, rien n'interdit à Hitler de continuer à baratiner Staline jusqu'au 22 juin 1941, en lui faisant miroiter un joli congrès pour résoudre certaines questions avant de le poignarder dans le dos.
Bref, le dictateur nazi n'avait strictement aucun intérêt à passer pour le commanditaire de Hess, sous peine de réduire à néant l'effet de surprise de Barbarossa. D'où le fait qu'il désavoue - mais pas immédiatement - l'envolée de Hess, sachant que ses explosions de colère, tardives, n'ont précisément pas été prises au sérieux par deux temoins d'importance : le Reichsmarschall Göring et son adjoint Karl Bodenschatz (à qui Göring précisera, avec un clin d'oeil: "Le Führer a fait fiasco !").
Par ailleurs, qu'un Goebbels n'ait pas été mis dans la confidence d'une telle stratégie s'explique parfaitement : il n'apprendra l'existence de la décision de Hitler d'envahir l'U.R.S.S. que quelques jours avant l'offensive ! Avec Hitler, ne sont informés que ceux qui méritent de l'être à un instant donné. |