Bonsoir,
Il est illusoire de croire encore que la Résistance (comme l'armée d'ailleurs) fut ce creuset mythique où se fondirent les classes sociales, les sensibilités culturelles et les appartenances idéologiques. Au contraire, plus je découvre la complexité et la rudesse des rapports entre les différents protagonistes de cette lutte terrible et plus j'ai le sentiment que l'Occupation nazie et Vichy ont exacerbé les différences d'avant-guerre.
Si cette guerre révéla des gens exceptionnels, ce fut surtout le temps des engagements radicaux et les études récentes des mouvements et de leurs créateurs-animateurs font nettement apparaître la violence des échanges et la brutalité de certaines décisions.
On est loin des contes héroïques et consensuels qui constituèrent durant des années la mémoire nationale idéalisée de la Résistance intérieure. Il fallut aux historiens une grande motivation et une très forte détermination pour oser démonter les reconstructions idéalisées de cette mémoire affirmée comme étant intouchable et affronter quelques un(e)s de ses gardien(ne)s...
Les chercheurs se souviennent encore de la méfiance que certains de leurs travaux suscitèrent chez les associations de vétérans il y a encore peu de temps de cela. Pour certains survivants des mouvements, il y avait dans ce besoin légitime de déchiffrer et de comprendre comme une menace diffuse; ils vivaient ces recherches comme des intrusions dans un domaine réservé à celles et ceux auxquels leur engagement donnait le droit de dire l'épopée résistante et d'attribuer des brevets de bonne conduite.
De là viennent (aussi) les clichés, les amalgames et les raccourcis trop réducteurs.
Je trouve que l'entreprise de Daniel Cordier est d'autant plus forte et parlante qu'elle émane d'un acteur de la Résistance devenu historien reconnu et respecté d'une partie de sa propre histoire. Sa monumentale biographie de Jean Moulin a ouvert une brèche qui a permis à d'autres chercheurs des générations suivantes - celles des Péan, Azéma, ou Belot, d'aborder sans peur de choquer tous les aspects de la lutte clandestine. Mais ce ne fut pas sans mal ni grincements de dents... !
Cordialement,
René Claude |