Bonsoir - bonjour,
Laurent Margantin s'est battu durant des mois avec le "Comité André Breton" afin de sensibiliser le monde à la scandaleuse vente de la merveilleuse collection que le "chef de file" des Surréalistes avait composée tout au long d'une vie qui fut elle-même une oeuvre poétique, une grande "composition trouvée" ou un "ready made".
L'Etat n'a pas pris ses responsabilités et le ministre de la Culture sera tenu responsable, au même titre que ses prédécesseurs, de la navrante car évitable dispersion d'une collection unique.
Voici ce qui est annoncé comme l'ultime communiqué du comité:
"On propose ici une vaste déambulation, pour poser la question de la conservation face à la réalité historique et surtout économique, pour aller contre l´idée que les musées seraient des havres de sécurité, des pyramides abritant leurs momies (puisqu´il a été beaucoup question de "momification" ces dernières semaines...) pour l´éternité. Non, toute conservation se produit dans mais surtout face à l´Histoire, contre les barbares, contre les envahisseurs, parfois avec eux...
De la dispersion Breton à la destruction du musée et de la bibliothèque de Bagdad, il y a donc de nombreux liens, même si les procédés et les contextes sont bien différents, ces saccages disant toutefois la même chose: le mépris d´une époque et des empires modernes pour la beauté, et, si l´on réagit à cette réalité, la nécessité qu´il y a pour les citoyens de s´engager autant pour la préservation des vies humaines que pour celle de leurs oeuvres d´art, contre la violence de l´argent et des armes.
Première station: Nantes
On a beaucoup entendu parler de Nantes depuis le début de la vente, et juste avant la ville a annoncé son intention de s´engager pleinement dans celle-ci en donnant une liste d´oeuvres qu´elle souhaitait acquérir...
On ne peut pas imaginer que ce soit innocent, et même si l´on déplore la dispersion de l´ensemble du 42 rue Fontaine disséminé dans plusieurs villes (Reims, Paris, Marseille, etc.) et plusieurs institutions (bibliothèque Doucet, centre Pompidou, musée de l´Homme, etc.), on se dit qu´il serait assez plaisant de voir la "province" adresser un beau pied de nez à la capitale, qui n´a pas été capable de prendre ses responsabilités dans cette triste affaire, en créant un lieu dédié à Breton pour accueillir un ensemble sur le "grand atelier surréaliste", définitivement disparu.
Serge Velay, que nous remercions chaleureusement pour son soutien et son engagement toutes ces semaines, a obtenu quelques précisions de l'adjoint à la Culture de Nantes, Yannick Guin :
"La position de principe qu'ils ont adoptée a été la suivante : puisque
l'ensemble est voué à la dispersion, il faut sauver le maximum de pièces
compatibles avec notre fonds existant. La Bibliothèque de Nantes a donc
enlevé 50 lots des 100 lots pour lesquels elle avait manifesté son intérêt.
Le choix des pièces s'est fait en accord avec Doucet, sur la base de la
complémentarité, et en vue d'un "usage" commun par le biais de prêts
réciproques.
Principalement pour les "historiques" : Peret, Vaché (Originaux des Lettres
de guerre) Claude Cain. Des éditions originales de Gracq, Breton, etc.
Et un important dossier Max Ernst. Guin n'a pas su me préciser s'il y a dans
le paquet le manuscrit de La Confession dédaigneuse.
Ils doivent faire une conférence de presse vendredi prochain pour rendre
publiques les acquisitions. La liste complète me sera communiquée."
On se rappelera ce passage de Nadja où Breton écrit de Nantes qu´elle est "peut-être avec Paris la seule ville de France où j'ai l'impression que peut m'arriver quelque chose qui vaut la peine... où un esprit d'aventure au-delà de toutes les aventures habite les êtres".
Alors aujourd´hui, pour clore notre propre action, on a envie de poser une question au maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault: comment accueillerez-vous la haute figure de Breton dans votre ville demain ?
Deuxième station: Amérique du Nord
Karenne Wood, de l'Association des affaires amérindiennes :
«Trois tribus ont demandé la suspension de la vente»
Par Vincent NOCE
mardi 15 avril 2003
Karenne Wood est la coordinatrice des restitutions aux tribus indiennes, au sein de l'Association des affaires amérindiennes.
«Le sacré est mis aux enchères à Drouot. La collection Breton comprend des spécimens uniques de l'art tribal, provenant notamment du Pacifique, mais aussi des Indiens d'Amérique du Nord. André Breton s'est lui-même rendu dans le sud-ouest des Etats-Unis. Parmi les objets qu'il a alors acquis, six, proposés à la vente jeudi prochain, sont des objets de culte que la nation hopi et deux autres tribus considèrent comme des biens sacrés : des masques de cérémonie extrêmement rares et une figure d'autel, censée n'être vue que par les prêtres qui en ont la garde. Trois tribus ont demandé la suspension de la vente. Par courrier, nous avons également invité les héritières à rendre ces objets.
La déclaration des Nations unies sur les droits des peuples indigènes appelle à la revitalisation de leur culture et recommande de telles restitutions. Depuis 1990, une législation aux Etats-Unis oblige les musées et les institutions bénéficiant de subventions fédérales à préserver le patrimoine sacré des Indiens. L'expert de la vente, Pierre Amrouche, nous a répondu : "Nous ne sommes pas concernés par cette demande. Vous pouvez acheter dans la vente tout ce que vous voulez (...). Nous ne sommes pas (encore) sous la loi des Etats-Unis, et c'est tant mieux pour nous !" Les tribus sont consternées.
Il ne s'agit pas, de notre part, de lancer une action juridique, mais un appel moral. Nombre d'objets de culte et de cérémonie se trouvent exposés dans les collections et les musées du monde entier. Au fil des temps, des éléments inviolables de leur culture ont été arrachés aux communautés indiennes. Certains ont complètement disparu. Même si les musées ou collectionneurs en assurent la conservation, seules les communautés ont la connaissance des rituels associés. Le marché fait circuler les objets les plus sacrés, en leur attribuant des valeurs très élevées. Ce ne sont pas que des objets "d'art". Aux yeux des Indiens, ils sont irremplaçables et inestimables : ils sont les manifestations vivantes de l'esprit, à l'image peut-être de l'eau bénite dans une église catholique, et la représentation vivante de leurs ancêtres.»
Troisième station: Bagdad
Bonjour à tous ceux qui se sont mobilisés “corps et âmes” pour cette affaire. Merci pour les informations quotidiennes, les citations, l’état des choses. Il va y avoir une petite dépression après tout ça, et on vous accompagne par la pensée encore.
On a le coeur gros de cette disparition, de cet éclatement et de tout ce que ça représente (Et les marchands du temple se comportent vulgairement, en plus !)
Et on ne peut s’empêcher de penser à un autre trésor qui part dans tous les sens, qui s’effrite, qui disparaît à jamais : livres, manuscrits, objets irakiens, etc.. Certains de ces Trésors de Babylone apparaîtront bientôt dans des boutiques occidentales…
Précieuses collections, précieux êtres humains…
Bien à vous.
Anne Petrequin
Quatrième station: Saint-Dizier
Loin de toute "muséification", on se dit que cette exploration déambulatoire de la jeunesse de Breton aurait pu servir de modèle à une présentation expérimentale et vivante de la pensée du surréalisme à partir du 42, rue Fontaine...
Lire André Breton à Saint-Dizier
André Breton à Saint-Dizier, exposition publique et déambulatoire s’est déroulée du 15 décembre 2000 au 25 janvier 2001. Conçue comme une explicitation des thématiques et circonstances d’un poème que Breton écrivit en 1916 à Saint-Dizier, Sujet, elle convoque et met en scène des acteurs de la ville. Une longue traversée conduit les visiteurs du lycée à un ensemble de centres sociaux pour s’achever dans l’hôpital psychiatrique André Breton. Un récit de la genèse du surréalisme, une exposition sur le nationalisme dans la guerre et une histoire de la psychiatrie institutionnelle s’y dessinent et se croisent, comme autant de blocs et trajets de vie soulevés de l’oubli par la force incantatoire d’un texte projeté dans l’espace et l’histoire d’une ville.
Ces pages s’en voudraient une fidèle et prolixe narration. Trois axes de lecture s’y juxtaposent : le récit par les images, la traversée par les textes et des extraits des poèmes d'André Breton. Indépendants les uns des autres, ces matériaux accompagnent la lecture de cette exposition, tissant de-ci, de-là des correspondances improbables et autres échos imaginaires, éclats d’une même histoire."
Merci à Laurent Margantin.
Grâce à son engagement au quotidien, nous avons été plus de 3500 à dire notre refus d'un saccage du patrimoine culturel et historique. La vente a eu lieu, les marchands ont gagné en partie grâce au discours complaisant d'une presse qui semble avoir perdu tout esprit critique et qui considère le néo-libéralisme en art comme un état de fait normal !
Mais l'aventure surréaliste se poursuit car, comme l'a écrit Tristan Tzara, "la résistance s'organise sur tous les fronts purs"
Cordialement,
René Claude