Vieille branche,
Après bientôt huit années d'échanges internautiques avec toi, je ne lis pas ceci sans étonnement :
le contexte global est insuffisamment pris en compte. (...) la mise en perspective de la campagne africaine de 1941 est assez lacunaire. Il y manque une description de la stratégie globale des Germano-Italiens en Méditerranée, du rôle de Malte à la campagne de Syrie, de l'invasion des Balkans aux manipulations hitlériennes relatives à la France (qui est prête à négocier avec Berlin son guerre au printemps 1941 contre la Grande-Bretagne, sans oublier le rôle de Weygand). Les origines du D.A.K. sont trop vite expédiées. Or, il ne s'agissait pas uniquement de sortir l'armée italienne du pétrin : Hitler comptait simplement pousser la Grande-Bretagne à se rendre (...)
Du coup, la vision de la campagne est bien trop "africano-centrée". (...)
Ce d'autant que Hitler, en définitive, se contrefichait de Tobrouk. Ce qu'il voulait, c'était un Rommel qui sème la panique en Afrique (...) En fait, l'expédition de l'Afrikakorps n'avait d'abord de sens que dans une stratégie plus vaste qui visait à obtenir la paix avec la Grande-Bretagne avant le déclenchement de l'invasion de l'U.R.S.S. Rommel devait, dans ces conditions, moins conquérir l'Egypte ou sauver la Libye italienne que donner l'impression qu'il allait le faire. (...)
J'atténuerais toutefois ma réserve en rappelant que ce petit travers est malheureusement archi-répandu parmi les historiens, a fortiori militaires, et surtout les plus grands (le modèle du genre étant le très surestimé Ian Kershaw). A l'heure actuelle (21 h 27), chaque théâtre d'opérations, chaque thème est étudié de manière séparée, donc cloisonnée, ce qui empêche toute mise en perspective et exclut tout report à la chronologie. Pour tout vous dire, j'aurais même sans doute agi de la même manière à une époque pas si lointaine. Mais je pense qu'adopter une vision généraliste d'un événement particulier s'avère indispensable pour améliorer sa compréhension et sa description - et tant pis s'il en découle une surcharge de travail et la nécessité de perdre en précision sur les faits militaires.
Il se trouve que le reproche de survoler d'un peu haut les faits militaires fournit la plus grosse artillerie du maigre arsenal actuellement en ligne contre mes thèses, quelles qu'elles soient, et que, pour répondre avant six semaines à une récente question tienne, je n'aurais rien contre le fait que tu me relaies de temps en temps pour détourner certains lecteurs de l'idée que je délire dans mon coin, notamment à propos du Haltbefehl devant Dunkerque :
Mais toi, que t'est-il arrivé, quand et comment ?
J'ai souvenir de ta réaction première à Kershaw, c'est le jour et la nuit. Alors qu'en ce qui me concerne, sans mérite particulier puisque c'était la base même de mes recherches, j'avais tout de suite pointé le défaut que tu dis, le traitement séparé de toutes les crises et leur explication par l'environnement humain ou matériel immédiats.
NB.- Comme, sur Livres de guerre, j'ai depuis quelque temps été caricaturé par d'aucuns, il est possible que les lignes ci-dessus soient lues comme une demande de reconnaissance du fait que je serais meilleur que Kershaw. Je me dois donc de préciser une nouvelle fois que la vie est trop courte et les problèmes de la SGM qui attendent d'être déflorés trop nombreux et passionnants pour que ma personne, contrairement à mes thèses, me semble un sujet intéressant, et pour que ma valeur relative par rapport à Pierre ou Paul m'apparaisse comme un champ d'études prioritaire.