Bonsoir,
Franklin Roosevelt se doutait-il des difficultés qui l'attendaient pour réconcilier les Français déchirés. Probablement ! Clairvoyant, songe-t-il à Jean Monnet pour conseiller le général Giraud et - à chacun de juger - pour finalement imposer le général de Gaulle. En témoigne un télégramme adressé à Cordell Hull, secrétaire d'Etat américain [1] En reconstituant la chronologie, ce télégramme, envoyé de Casablanca, serait daté du 16 janvier 1943 dès le début de la conférence de Casablanca (ou "conférence d'Anfa" du nom de la villa, résidence de Roosevelt et lieu de la réunion) qui s'est tenue du 13 janvier (officiellement le 14) au 24 janvier 1943.
*** Le général Giraud arrive demain [2] et nous avons convenu, M. Churchill et moi, de faire venir ici, lundi [3], le général de Gaulle. Je ne doute pas que nous pourrons amener les Anglais à partager notre point de vue, et il paraît indispensable de faire entrer un civil dans l'administration. Il semble que Giraud manque de qualités politiques, et les officier français refusent de reconnaître l'autorité du général de Gaulle. Puisque nous n'avons pas sous la main de civil dans cette zone, ne pensez-vous pas qu'on pourrait faire venir Jean Monnet ici ? Il a su rester à l'écart de toutes les intrigues politiques de ces dernières années et j'ai de lui un sentiment très favorable. Je me serais bien passé de ces controverses politiques en ce moment, mais je m'aperçois en arrivant ici que les journaux américains et britanniques ont fait une vraie montagne d'une petite colline. Aussi, ne reviendrai-je pas à Washington, avant d'avoir réglé cette affaire Monnet qui doit rester secrète. ***
Cordell Hull donnera une réponse négative car, estimait-il, Jean Monnet n'était pas l'homme de la situation en raison de ses attaches gaullistes, "plus étroites qu'on ne le soupçonnait". Roosevelt passa outre de l'avis de son Secrétaire d'Etat et fit venir Monnet à Alger sous couvert officiel de "représentant du bureau de répartition des armements" en réalité comme conseiller politique de Giraud.
Bien cordialement,
Francis.
[1] Secrétaire d'Etat américain est équivalent à Ministre des Affaires étrangères.
[2] Giraud s'empresse de rejoindre Casablanca où il arrive, tout guilleret, le 17 janvier 1943.
[3] Il s'agit du lundi 19 janvier. Le général de Gaulle refusera l'invitation. Toutefois, devant les enjeux de la situation en AFN, il consent de rejoindre Casablanca où il arrivera le 22 janvier. |