Je comprends moi-même l'indignation qu'on peut ressentir devant certains récits d'atrocités commises contre les harkis et leurs familles. Tel ou tel officier français a bien agi en sauvant certains d'entre eux en dépit des ordres ou en les interprétant humainement, d'autres ont pu être lâches, carriéristes ou peu imaginatifs... De là à dire que, d'un point de vue gouvernemental, on pouvait faire en sorte d'en sauver plus, il y a un abîme que j'ai le plus grand mal à franchir.
Il y a surtout une mesquinerie et un manque de rigueur inadmissibles si précisément on essaye de réagir non avec ses tripes mais avec sa cervelle, bref de regarder les choses en historien. La démarche paresseuse consiste à dire : nul n'est parfait, on n'est pas là pour dresser des portraits tout en éloges et il faut bien faire à de Gaulle quelques critiques, alors allons-y pour l'"abandon" des harkis comme des pieds-noirs. Ben non désolé, il faut se creuser un peu plus car des défauts certes il en a, mais pas ceux-là.
Le maximum a été fait pour les harkis quand les accords d'Evian leur ont offert toutes garanties juridiques : le nouvel Etat algérien n'aurait pas le droit de les poursuivre ni de les inquiéter en aucune manière. Après c'est comme tout texte, il s'agit d'appliquer. Par définition, puisqu'indépendance il y avait, la France n'avait pas le pouvoir judiciaire de faire respecter le texte. Elle pouvait tout au plus le rappeler, ce qu'elle fit, et tous les harkis furent loin de passer immédiatement à la casserole, la preuve c'est que les bilans qu'on donne vont jusqu'en 1968.
Trop de garanties et de sollicitude pour ces personnes, c'eût été précisément la négation de l'indépendance, et des accords d'Evian. Et c'est bien pour cela que l'OAS les a sabotés dès la première seconde, en faisant mousser instantanément les meurtres de harkis commis dans le bled quand l'armée française se retirait. Elle n'avait qu'une politique, démontrer que la séparation était inhumaine et impossible.
On ne pouvait tout de même pas détricoter le pays en faisant venir en France, de proche en proche, toute la population sous prétexte qu'elle risquait la mort pour avoir un jour fait bonne figure au colonisateur !
Il fallait bien aller de l'avant. Même si c'était en arrière.
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