Bonsoir,

Si les synthèses des "contrôles techniques" furent une source appréciable pour l'étude de l'opinion française, une autre source a retenu l'attention de l'historien : les rapports des préfets. Ces derniers étaient régulièrement sollicités pour connaître les réactions de la population à telle ou telle mesure décidées par Vichy. D'emblée Pierre Laborie constata le peu de fiabilité qu'il fallait accorder à ces rapports. Ces grands commis de l'Etat ont fait allégeance au régime. Leur capacité d'adaptation à la conjoncture, leur opportunisme, par carriérisme ou par conviction, leur idéologie, l'excès de zèle, les pressions au discours dominant, la vanité des hommes d'Etat.... faussent volontairement ou inconsciemment leur perception des réactions de l'opinion publique.

Laborie cite un exemple. En février 1941, un télégramme secret et urgent de l'amiral Darlan s'inquiète des répercussions provoquées par la diminution de 20% des rations de pain. Un rapport établi par le commissaire spécial de la préfecture indique un vif mécontentement de la population, signale des protestations ouvertement hostile à la politique de collaboration mise en cause dans cette affaire. Après un délai de réflexion, le rapport de synthèse du préfet reprend l'esprit du texte de son commissaire. Après nouvelles réflexions, le préfet classe cette synthèse et adresse finalement à Vichy une synthèse édulcorée où il est question de mécontentement des "milieux ouvriers qui font du pain leur aliment de base" en ajoutant que le rationnement, "supportable", a été "accepté avec discipline et compréhension". Laborie précise que l'auteur de ce glissement tactique est un pourtant préfet réputé pour sa relative indépendance d'esprit.

Bien cordialement,
Francis.