Page 441 du livre d'Yves Gras
Ce jour là, par une brûlante matinée de soleil, cinq bataillons de la 1re DFL passent sous l'Arc de Triomphe sous des noms et derrière des drapeaux qui ne sont pas les leurs, en tout cas pas ceux qu'ils ont illustrés sur les champs de bataille. A leur tête défile le colonel Raynal qui n'est pas leur commandant de division. Le général Garbay, toujours gêné de paraître en public, a trouvé un prétexte pour se faire remplacer.
Autre absent de marque, le général de Lattre. Ayant appris au dernier moment qu'il ne présenterait pas les troupes et que sa place était prévue au troisième rang de la tribune officielle, il est reparti le matin même pour l'Allemagne sans assister au défilé.
Curieux défilé d'ailleurs! Les divisions d'infanterie, au lieu de descendre les Champs Elysées l'une après l'autre, sont accolées deux par deux comme des sœurs siamoises. La 1re DFL qui se présente en tenue légère, calots bleus et chemises à manches retroussées, se trouve ainsi -accouplée avec une division de formation récente qui lui est inconnue, en tenue de campagne, sac au dos, vareuse de drap, bourguignote et bandes molletières. La 13e DBLE, qui a retrouvé ses képis blancs, ferme la marche avec la Légion.
C'est à la 2e DB qu'a été réservée la vedette. Elle ouvre le défilé, seule en tête, devant les troupes de la garnison de Paris, y compris les pompiers, et les contingents de la 1re armée. Le général Leclerc arrive le premier sur la place de l'Etoile, s'arrête sous la voûte de l'Arc de Triomphe, fait à pied le tour de la dalle du Soldat inconnu, pose longuement devant les photographes qui l'assaillent. Puis, debout dans la tourelle de son char «Tailly», il descend lentement la voie triomphale, suivi de ses blindés, follement acclamé par la foule, qui n'a d'yeux que pour lui. Loin derrière la 2e DB, en queue du défilé le détachement de la 1- DFL passe presque à la sauvette dans la masse des troupes à pied.
Il est vrai que, depuis longtemps, de Gaulle a choisi Leclerc comme figure de proue des Forces françaises libres. Il lui a donné Paris à libérer, Or Paris, c'est la France. La chevauchée de Koufra à Strasbourg éclipse, injustement d'ailleurs, la gloire plus chèrement acquise de la 1re DFL sur des champs de bataille souvent moins prestigieux. Mais il plaît aux Français d'avoir pour libérateur ce jeune général dont le dynamisme est sympathique et les succès spectaculaires. Paris, Strasbourg et Berchtesgaden leur parlent davantage que Bir Hakeim, les Vosges et l'Authion. La ferveur populaire a grossi la division Leclerc aux dimensions d'une armée. Elle ignore jusqu'au nom de la 1re DFL.
Voici donc un point de vue bien différent de celui que nous rapporte Francis. Ce n'était pas la journée des Français Libres, mais celle de la 2e DB, symbole d'unité nationale qui, rappelons le, ne comportait pas plus d'1/3 de Français Libres dans ses rangs. Et ces derniers commençaient à avaler des couleuvres.
Amicalement
Jacques |