L'ouvrage de Nicolas Werth regroupe dans un même recueil 19 articles publiés depuis 1990 et qui, selon l'auteur, répondent aux interrogations suscitées par les débats autour du
Livre noir du Communisme.
Au croisement de l'histoire politique et de l'histoire sociale (...) je m'attache à montrer que la violence d'Etat, massivement exercée par le régime jusqu'au début des années 1950, était certes alimentée par l'idéologie, mais aussi par la perception aiguë qu'avaient les dirigeants de la fragilité du système face à un corps social difficilement maîtrisable et à des relais d'encadrement peu fiables. Les difficultés réelles du système à mettre en oeuvre un contrôle efficace sur cette "société de sable mouvant" qu'était le corps social soviétique sous le stalinisme, profondément déstructuré, soumis à des tensions et à une violence extrême, ne manquaient pas d'engendrer, parmi les dirigeants, un véritable syndrome de frustration. (...) Les difficultés du régime à maîtriser une société réfractaire alimentaient en permanence la violence d'Etat.
(en introduction, pages XII et XIII)
Dans une remarquable
recension de l'ouvrage publiée dans l'histobliothèque des Histoforums, Nicolas Bernard écrivait :
Il serait faux de prétendre que le livre constitue un assemblage désordonné d’articles. La cohérence se révèle à dire vrai particulièrement remarquable, tant les sujets étudiés (guerre civile, paysannerie, archaïsmes religieux, désordres civils, légalité pénale, déportation, Goulag, gestion du passé par Khrouchtchev) se recoupent, par delà leur hétérogénéité. En découle une vision complexe mais terrifiante, misérable même, de la société soviétique sous Lénine et Staline, entre pauvreté et répression, propagande et survie. Le second semble ainsi avoir épuisé tous les aspects de la violence pour la transformer en terrorisme étatique, où le crime le plus absolu et le plus massif est commis et dissimulé par les plus hautes instances du régime.
Effectivement ! En consultant la table des matières ci-dessous le lecteur s'aperçoit que les articles s'articulent autour de cinq moment-clés: les années 1914-1922 marquées par les guerres prises dans leur ensemble, la Grande Guerre et la guerre civile née de la Révolution d'octobre; les années 1930-1933 marquées par la collectivisation forcées des campagnes - la "dékoulakisation" - qui déboucha sur les grandes famines et plus particulièrement la famine génocidaire en Ukraine; les années 1937-1938 ou le paroxysme criminel du stalinisme ou encore la "Grande Terreur" répondant à deux logiques répressives, l'une, politique, dirigée contre les élites, l'autre, sociale, contre les "éléments nuisibles" et "ethniquement suspects"; la Grande Guerre patriotique et les années qui suivirent lorsque le régime s'engagea dans une politique très dure de reprise en main de la société; enfin les années 1953-1956, celles de la "sortie du stalinisme".
La 4ème de couverture :
Métropole d'une religion de salut temporel, l'URSS de Staline fut un empire, élevé sur les ruines des nations européennes après deux guerres mondiales, et la propagandiste d'un message, apparemment universel, qui fascina des peuples du tiers monde ou des intellectuels, autant qu'il répandit une sorte de terreur partout ailleurs.
Nicolas Werth explore les méandres de l'univers soviétique sous Staline. Il montre en quoi le stalinisme, dans la suite logique du léninisme, impose une ligne du parti fixée d'en haut, expérimente une véritable ingénierie sociale et propose aux Soviétiques la vision d'un monde peuplé de forces bonnes - les staliniens - et mauvaises - tous les autres, à noyer dans le sang.
Mais cette extraordinaire violence du système ne se nourrit-elle pas d'une frustration permanente à contrôler un corps social éclaté ?
Au croisement de l'histoire politique et d'une histoire sociale, cet ouvrage propose une nouvelle manière de penser le stalinisme.
Table des matières
1. Violences d'en haut, violences d'en bas dans les révolutions russes de 1917.
2. Les déserteurs en Russie: violence de guerre, violence révolutionnaire et violence paysanne (1916-1921).
3. Les bolcheviks et la restauration du "principe de l'État" (1917-1922).
4. Les résistances paysannes à la collectivisation forcée en URSS.
5. "Cher Kalinouchka ...". Lettres paysannes à Kalinine, 1930.
6. Rumeurs défaitistes et apocalyptiques dans l'URSS des années 1920 et 1930.
7. La grande famine ukrainienne de 1932-1933.
8. Les "rebelles primitifs" en URSS.
9. Staline en son système dans les années 1930.
10. Le phénomène concentrationnaire soviétique au XXe siècle.
11. Les déportations de "populations suspectes" dans les espaces russes et soviétiques (1914-fin des années 1940) : violences de guerre, ingénierie sociale, excision ethno-historique.
12. Repenser la "Grande Terreur".
13. Les "petits procès exemplaires" en URSS durant la "Grande Terreur" 1937-1938.
14. L'aveu dans les grands procès staliniens.
15. La société soviétique dans la Grande Guerre patriotique.
16. Les résistances du social dans l'URSS stalinienne.
17. Les lois sur le vol du 4 juin 1947 : l'apogée de la "répression légale" stalinienne.
18. Les libérations massives des détenus du Goulag et la fin des "peuplements spéciaux" : les enjeux politiques et sociaux du "dégel" (1953-1957).
19. Histoire d'un "pré-Rapport secret". Audaces et silences de la Commission Pospelov, janvier-février 1956.