En premier lieu, le télégramme de Darlan du 9 novembre 1942 marque la dernière tentative de l'amiral d'accrocher la France au Reich. Texte crucial à coup sûr, mais n'est-ce pas l'accumulation des offres précédentes, au cœur desquelles culmine l'offre du 14 juillet 1941, qui lui donne l'essentiel de sa force ? Voici l'occasion de rappeler que le projet de "Pacte transitoire entre l’Allemagne, l’Italie et la France" prévoyait le remplacement des armistices par des conventions transitoires adéquates et le rétablissement de relations pacifiques entre les anciens ennemis, la France récupérant sa totale souveraineté dans le processus. Et faisait suite un protocole non public témoignant, en continuation des conférences militaires de l'hiver 1940 et des protocoles de Paris de mai 1941, de l'engagement de Vichy à défendre les territoires placés sous sa souveraineté, puis à récupérer les colonies dissidentes. Enfin le gouvernement français affirmait sa volonté d'adhérer au Pacte tripartite (conclu entre l'Allemagne, l'Italie et le Japon en septembre 1940) après la signature du traité de paix et d'en assumer aussitôt, à charge de réciprocité, les obligations à l’égard de l’Axe. C'est dire le formidable enjeu de l'offre : à imaginer l'Allemagne ou l'Italie attaquée par les Etats-Unis, ce qui représentait l'éventualité la plus probable, la convention, qui établissait une alliance militaire défensive entre les contractants, imposait à la France de prendre les armes pour défendre ses nouveaux alliés, piétinant ce faisant l'amitié franco-américaine de toujours ("La Fayette, nous voilà").
Tout cela pour revenir au 9 novembre 1942 où, quelques heures après avoir envoyé le télégramme que l'on sait, Darlan adresse un autre télégramme aux amiraux Esteva (Tunis) et Derrien (Bizerte), avec copie à Vichy, où se renouvelle la chimère d'une cobelligérance de fait aux côtés de l'Axe : "Les Américains ayant envahi l’Afrique les premiers sont nos adversaires et nous devons les combattre seuls ou assistés."
Enfin nous retrouvons-nous avec François Delpla sur l'abandon du vieux cliché de la neutralité (cf. mon message suivant "Lettre au grincheux") et l'existence d'une vision géopolitique remontant, remarque Georges-Henri Soutou (cf. "Le deuil de la puissance" in Histoire de la diplomatie française, ouvrage collectif, Perrin, 2005, p. 801), loin dans le passé :
"Ces tentatives pour établir avec le Reich des rapports de quasi-alliance ne s'expliquent pas uniquement par la conjoncture immédiate mais renvoient à d'immenses et anciennes questions, à d'anciens courants de méfiance à l'égard des Anglais (ou des "Anglo-Saxons") et du libéralisme, à beaucoup de frustrations depuis 1919, à l'idée ancienne que la France aurait intérêt à s'entendre avec l'Allemagne plutôt qu'avec l'Angleterre, sa rivale impériale".