Je n'ai pas lu le livre de Laurent Dingli, mais j'imagine qu'il reprend la thèse d'un Louis Renault maltraité en prison. On peut objecter à son égard que, membre de la famille, il ne saurait être impartial.
Annie Lacroix-Riz est-elle impartiale ? Elle n'a jamais prétendu l'être. Depuis la parution en 1989 de
Industriels et banquiers sous l'Occupation qualifié par Henri Rousso "d'ouvrage ne présentant aucun caractère de fiabilité" (La France des années noires, édition 2000, coll.Points-Histoire, p.481), elle s'est faite la procureur des patrons et du patronat, n'exhibant jamais que les éléments allant dans le sens de la turpitude desdits patrons. Dans l'article cité
, Une commission rogatoire comprenant une liste de gardiens de prisons fonctionnaires démontrerait qu'il n'y a jamais eu de FFI à la prison de Fresnes. Ce que l'on demande normalement à un historien ce n'est pas tant de mettre des documents en ligne, sauf s'ils sont exceptionnels, mais de faire une synthèse honnête de TOUS les documents du dossier.
Il semblerait bien (à confirmer) que ni ALR, ni Dingli n'ont d'autres éléments que ceux dont pouvait disposer Emmanuel Chadeau, auteur d'un Louis-Renault, en 1998. Chadeau était un universitaire, spécialiste de l'Histoire économique, il n'a sans doute pas particulièrement investigué sur les derniers jours de Louis Renault. Mais les extraits de son livre concernant cet épisode sont en ligne
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Pour ceux qui n'ont pas le temps de lire ce texte, en voici un extrait:
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Rien ne prouve matériellement que Renault ait été vraiment battu dans la nuit du 3 au 4 octobre 1944. On a des indices nombreux. Sa phrase du 3 octobre, dès lors que, comme Christiane, on l'interprète dans le sens d'un aveu des souffrances personnelles vécues et non comme l'expression d'une peur venue des sévices entendus la nuit. Il y a des bandages du 4 octobre, qui ont disparu ensuite, mais que le visiteur de prison C. n'avait aucune raison d'inventer. Il y a les autres témoignages sur Renault prostré. Il y a le climat général de la prison, avec, en arrière-plan, les appels à l'exécution dans la presse. Et il y a enfin la résolution avec laquelle, plus tard, ont été détruits des documents qui, peut-être, auraient pu livrer des informations capitales.
A partir de là, toutes les hypothèses sont possibles. D'autant plus que le comportement, et de la direction de Fresnes, et du juge Martin, à partir du 4 octobre, ne font que corroborer les craintes de Christiane Renault. Mais voilà: il n'y a pas de preuves matérielles, pas de nom à mettre sur les silhouettes des hommes à brassard; et peu de monde pour briser la loi du silence. Même sous les questions du juge, nombre de témoins, en 1957, diront: "Je ne peux dire rien de plus", "Je n'en sais pas davantage", des formules qui désignent, soit leur ignorance, soit leur volonté de conserver le silence sur des faits bien troublants. Notamment sur celui--ci: Louis Renault a été, en quelques jours, changé plusieurs fois de cellule. Pourquoi?"
je n'ai pas eu l'impression que l'article de Lacroix-Riz apportait des éléments d'informations qui n'étaient pas en possession de Chadeau. Pour ma part (je viens de commander le livre de Chadeau pour 3,86 euros + port), j'en reste aujourd'hui dans le camp de ceux qui doutent.
Si quelqu'un a accès au livre de Dingli, merci de faire un résumé de sa vision des derniers jours de LR.
Emmanuel