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Edition du 28 mars 2012 à 18h36

Vichy et la Shoah / Alain Michel

En réponse à -9 -8 -7 -6 -5 -4 -3 -2
-1J'ai commis... de françois delpla

Mouais de Nicolas Bernard le mercredi 28 mars 2012 à 17h51

J'ai fini par lire le livre. Pas le temps d'en recenser les nombreux défauts que je lui trouve - à commencer par un appareil de références quasi-inexistant, et aucun document nouveau de nature à remettre en cause ceux qui existent déjà, qu'Alain Michel réinterprète à sa sauce. Quelques très brèves remarques en vrac sur ce qui me semble le plus important :

1) Contrairement à ce que je m'imaginais avant de procéder à une lecture totale du livre, son auteur ne verse pas dans la propagande vichyste. Il est là pour faire de l'Histoire, pas pour réhabiliter l'Etat français. Pour autant, il est absolument remarquable que bien des poncifs et des citations reproduites dans quantité de textes pro-vichystes (jusqu'au propos malheureux d'Annie Kriegel tirée du livre Ce que j'ai cru comprendre) se retrouvent dans son propre ouvrage. Alain Michel se montre d'ailleurs très indulgent envers pareille prose, comme l'illustrent ses allusions, finalement sympathiques sous couvert d'objectivité, à l'amiral Auphan ou à René de Chambrun. Dans une certaine mesure, difficile à déterminer, on ne peut exclure que cet historien ait été influencé par ce "courant", non par sympathie idéologique, mais peut-être pour résoudre ses propres interrogations - et accessoirement charger Paxton et Klarsfeld. Il est au demeurant consternant de retrouver, sous la plume d'un historien, ce splendide bobard vichyste selon lequel l'administration française de zone occupée était automatiquement soumise, quelle que soit la matière, aux desiderata de l'occupant...

2) L'auteur ne procède à aucune analyse en profondeur de l'historiographie qui le précède. Il se contente de distribuer les bons points aux "visionnaires" (qui seraient donc Hilberg, Poliakov, voire Billig) tout en envoyant au piquet le trio Klarsfeld-Paxton-Marrus. Ni les évolutions de Poliakov, ni les incohérences persistantes de Hilberg, ni même le contexte mémoriel et documentaire dans lequel ils ont publié leurs premiers travaux ne sont étudiés.

3) L'ouvrage n'apporte guère de nouveauté, sauf sur un élément de taille, qui pour le coup me convainc, à savoir l'assimilation, par Vichy, de Juifs français à des Juifs étrangers dès lors qu'ils sont enfants de Juifs étrangers ou Juifs naturalisés. En revanche, et contrairement à ce que j'ai pu lire ailleurs, la distinction vichyste Juifs étrangers - Juifs français est opérée depuis des années par l'historiographie. La comparaison de la France et des autres pays d'Europe a déjà été faite, y compris par Paxton - il suffit de se reporter au magnifique ouvrage de Laurent Joly sur le Commissariat général aux Questions juives pour s'en convaincre. Les considérations d'Alain Michel sur cette problématique sont d'ailleurs entièrement tributaires du seul livre de Raul Hilberg, ce qui l'amène à négliger - particulièrement dans le cas hongrois en 1944 - la part d'initiative locale dans le cycle des déportations. Quant à prétendre que Vichy souhaitait en priorité se débarrasser des Juifs étrangers, c'est là une affirmation qui n'a rien de neuf, déjà formulée par Serge Klarsfeld et Asher Cohen.

4) La stratégie de l'occupant n'est pas analysée. Pour le coup, Alain Michel emprunte beaucoup trop... à Klarsfeld, qui décrit l'appareil nazi en France comme un panier de crabes soumis à des ambitions incompatibles, entre "modérés" et "extrémistes". Quoique décochant une pique venimeuse au livre de Gael Eismann (Hôtel Majestic, Tallandier, 2010), M. Michel montre surtout - involontairement certes - qu'il n'a certainement ni assimilé, ni même compris ses apports, tant en ce qui concerne la manière dont Vichy et son administration concevaient leur subordination ou leur autonomie envers l'Allemagne, qu'en ce qui intéresse l'interaction entre l'idéologie vichyste et les calculs stratégiques des autorités d'occupation. L'ouvrage de Mme Eismann jette d'ailleurs une lumière autrement plus convaincante sur la portée de la Convention de La Haye, et son interprétation par les Allemands aussi bien que par l'Etat français : une telle analyse historique, au-delà des considération juridiques, me semble infiniment plus pertinente que la sottise d'une soumission au-to-ma-ti-que (pour paraphraser quelqu'un) de nos Préfets et de nos flics aux Allemands en Z.O.

5) S'agissant de la thèse elle-même (Vichy aurait sacrifié les Juifs étrangers pour sauver les Juifs français), elle ne me convainc toujours pas. La reconstitution des négociations - et de leurs conséquences - de l'été 1942 demeure franchement discutable. L'exemple des convois de Pithiviers du 21 septembre 1942 et de Drancy du 23 septembre 1942, pourtant de nature à faire voler en éclats la théorie précitée, n'est même pas évoqué, sinon par une simple mention indiquant que les Allemands voulaient remplir leurs quotas.

6) Les interrogations de l'auteur sur les inquiétudes de Laval au regard de l'opinion publique ne sont pas sérieuses. Mais il est vrai que la prise en compte d'un tel facteur par les responsables de Vichy n'est pas étudié par l'auteur, qui ne cherche d'ailleurs nullement à replacer la "question juive" dans la liste des préoccupations de Vichy en 1942. Or, s'il le faisait, il s'apercevrait que les réticences de Pétain et Laval à livrer des Juifs français aux nazis, non seulement découlent de leur inquiétude devant les réactions de l'opinion, mais encore peuvent très bien s'analyser comme une forme de marchandage dans le cadre de négociations d'ordre plus global : "Pas d'inquiétude, Monsieur le Maréchal, je ne céderai pas sur les Juifs français tant que je n'aurai rien obtenu sur les prisonniers de guerre et les ouvriers qui partent en Allemagne". Enfin, pour expliquer les réticences de Vichy à livrer des Juifs français après l'été 1942, Alain Michel néglige trois petits détails qui s'appellent El Alamein, Stalingrad et Torch.

Bref, il y aurait beaucoup à dire (sur la connaissance, par Vichy, du sort des déportés, ou sur le sauvetage des Juifs de France), mais faute de temps je m'en tiendrai là. Un tel livre, sans être - heureusement - le pamphlet pro-vichyste que je redoutais, est indéniablement dans le vrai lorsqu'il soutient que Vichy a traité différemment les Juifs étrangers et les Juifs français : rien de nouveau sous le soleil. Surtout, Vichy et la Shoah apparaît manifestement bâclé sur tous les points qu'il aborde, et sans convaincre sur l'essentiel, à savoir l'inepte théorie du sauvetage des Juifs de France par l'Etat français. Ce livre, loin d'apporter du nouveau sur une thématique bien balisée, constitue en fait une régression des plus déplorables.

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