"... peut-on dire aujourd'hui que l'amiral Canaris a été plus loin que les parties alambiquées (Funkspiel und so weiter) auxquelles se sont livrés les services secrets alliés et ceux de l'Axe et qu'il a effectivement trahi le Reich ?" (René Claude)
Oui, bien sûr et sans aucun doute possible.
La trahison prit différentes formes :
1. La livraison de secrets militaire à l'ennemi :
Dès 38, Canaris informe plusieurs pays dont la Grande-Bretagne des projets de Hitler afin de les mettre en échec. Puis, dès le début du conflit, Canaris, notamment par l'intermédiaire du colonel puis général Oster, chef du départelent Z (administration) de l'Abwehr, livre aux puissances occidentales les principaux secrets militaires de son pays. Dates et détails des plans d'invasion allemands, informations sur les nouveaux armements : tout y passe.
Quelques exemples :
Le 11 mars 39, Oster informe les Britanniques que la Wehrmacht entrera en Bohème et en Moravie le 16 mars à 6 heures du matin, ce qui permet aux Tchèques d'évacuer leurs archives et leurs spécialistes du renseignement.
Après la guerre, le général Sas, ex-attaché militaire hollandais à Berlin, révéla que Oster lui avait communiqué les dates exactes de l'attaque allemande contre la Norvège et celles de l'offensive à l'Ouest.
Les mêmes informations étaient transmises par Josef Müller, agent de l'Abwehr, aux representants belge, hollandais et anglais au Vatican.
A côté de Rote kapelle qui travaille pour l'Union soviétique, l'Orchestre noir travaille lui pour l'Ouest. Allen Dulles déclarera en 1947 qu'environ 10% de l'Abwehr était en relation avec l'espionnage américain.
Tout cela est parfaitement connu. Des documents accablants retrouvés notamment au camp de Zossen après le 20 juillet 1944 ne laissent aucun doute sur l'action de Canaris et Oster. Confirmation en a été donné à Nüremberg par d'anciens membres de l'Abwehr, témoins de l'accusation.
2. Le sabotage de l'effort de guerre allemand :
Canaris ne se contente pas de livrer des secrets militaires aux ennemis de son pays. Il va plus loin, par exemple en contribuant à torpiller un soutien de Franco à Hitler ou en transmettant de fausses informations à l'armée comme en témoigne la découverte de 52 cahiers de dépêches militaires trafiquées par les services de Canaris.
Les échecs répétés d'opérations clandestines ou l'incapacité de l'Abwehr à mettre sur pied des réseaux en Grande-Bretagne ou aux USA, un pays où l'Allemagne nazie comptait de nombreux sympthisants avant la guerre, ne sont évidemment pas le fruit du hasard.
3. Les complots :
Jusqu'à sa destitution en 1943, l'un des principaux organisateur, pour ne pas dire le principal organisateur, des projets de coups d'Etat, tentatives d'assassinat contre Hitler et autres menées de l'opposition est le général Oster. Celui-ci agit, là encore, en plein accord avec Canaris. De la même manière, selon la volonté de Canaris, l'Abwehr devient dès le début de la guerre le refuge idéal pour une nuée d'opposants au régime qui y trouve la couverture parfaite pour camoufler leurs activités. On peut rappeler également que l'une des sources d'approvisionnement en explosifs des conjurés du 20 juillet 1944 est le colonel Freytag von Loringhoven, chef de la section II de l'Abwehr (sabotage et subversion) et qu'avec les colonels Lahousen ou Hansen, c'est tout l'encadrement de l'Abwehr qui trahissait.
Bien entendu, l'Abwehr transmit des informations qui n'étaient pas toutes fausses à l'OKW, travailla à démasquer les espions de Rote kapelle, lutta en France contre la Résistance etc... Canaris n'était pas assez idiot pour ne pas chercher à donner l'impression que son service faisait son travail. Mais, comme Keitel devait le reconnaître à Nüremberg, rien de décisif ne parvint au commandement allemand de la part des services de Canaris. Et pour cause !
En fait, la vraie question n'est pas celle de la trahison de Canaris mais celle de sa longévité.
Comment l'amiral a-t-il pu trahir aussi longtemps ? (il n'est destitué qu'en février 44 et arrêté qu'après le 20 juillet 1944 pour n'être exécuté qu'en avril 1945).
Dès 1942, Hitler et Jodl commencent à se poser des questions au sujet de Canaris. Mais celui-ci a un défenseur de poids en la personne de Keitel qui, de bonne foi, n'envisage pas qu'un amiral allemand puisse trahir son pays.
Mais, avec ou sans Keitel, Canaris aurait dû tomber bien avant.
Son ancien subordonné sur le croiseur-école Berlin, Heydrich était bien décidé à obtenir sa tête. "Je partageais l'opinion de Canaris, écrit Schellenberg dans ses mémoires, et je reste convaincu que, si Heydrich avaut vécu, Canaris eût quitté la scène dès 1942. Pas tant, j'imagine, à cause de ses activités subversives - pour des raisons connues de lui seul, Heydrich laissa toujours ce point dans l'ombre - mais en raison de l'échec du service secret militaire, l'Abwehr". Heydrich savait bien évidemment que Canaris trahissait. Pourquoi ne pas l'avoir démasqué ? Le manque de preuves, peut-être, à moins que Heydrich n'ait pu user de certaines armes, sous peine de se voir appliquer de la part de Canaris des mesures de rétorsion comme d'éventuelles révélations sur sa généalogie douteuse...
L'assassinat de Heydrich lors d'une opération montée par les services secrets britanniques règle le problème. Les raisons habituellement avancées pour justifier cet assassinat m'ayant toujours paru douteuses, il n'est pas impossible que cet assassinat soit lié à la menace que constituait Heydrich pour Canaris. C'est une simple hypothèse.
Après Heydrich, c'est Schellenberg qui, à l'en croire, reprend le flambeau et présente à Himmler en 1943 un dossier renfermant la preuve absolue de la trahison de Canaris à propos de manoeuvres visant à cacher aux dirigeants allemands la volte-face de l'Italie au profit des Alliés. "Quand je présentai le dossier relatant ses diverses trahisons, Himmler mordilla nerveusement son pouce et me dit : "laissez cela ici, je le montrerai à Hitler quand l'occasion s'en présentera". Le dossier ne parviendra jamais à Hitler. Commentaire de Schellenberg : "Comme Heydrich, il (Himmler) paraissait incapable d'agir quand il s'agissait de l'amiral". "Je suis à peu près certain que Canaris avait, à un moment ou à un autre appris quelque chose au sujet de Himmler, sinon jamais celui-ci ne fût demeuré passif avec le dossier que lui avais remis".
Qu'avait découvert Canaris qui le rendait quasiment intouchable ? Sans doute que Himmler, lui-même, joue un jeu particulièrement trouble à partir de 1942 en prenant secrètement contact avec des représentants des puissances occidentales pour explorer la possibilité d'une paix séparée moyennant l'élimination de Hitler. Etant donnée la manière dont ces contacts ont lieu, à quels endroits et avec qui, il est impossible qu'ils aient été ignorés des hommes de l'Abwehr.
Enfin, l'arrestation de Canaris par Schellenberg en août 1944 se révèle particulièrement ahurissante. Chargé d'arrêter Canaris par Kaltenbrunner via Müller, Schellenberg se présente chez l'amiral, s'installe dans son salon, lui parle des résultats de l'enquête consécutive au 20 juillet 44, répond aux questions de l'amiral sur les charges pesant contre lui, promet de lui arranger une entrevue avec Himmler comme Canaris le demande avant de lui accorder une heure de liberté pour lui permettre de se suicider voire de prendre la fuite, en tout cas de faire disparaître certains documents. Après cela, plus personne ne pourra prétendre que ces SS n'étaient pas de parfaits gentlemen...
Selon Schellenberg, la rencontre Himmler-Canaris eut bien lieu et Himmler protégea Canaris alors que les charges pesant contre lui étaient écrasantes et auraient dû lui valoir une condamnation à mort de Volksgerichthof de Freisler. Canaris ne sera pendu que le 9 avril 1945 à l'instigation de Hitler et Kaltenbrunner. Himmler, à cette époque, ne peut plus rien pour lui. Pourquoi le Reichsführer SS a-t-il protégé Canaris ? Sans doute pas par bonté d'âme.
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"Sans que cela constitue une preuve, il est toutefois intriguant que ce soit, semble-t-il, au moment où hitler passe de la conquête aux exactions en Pologne et au massacre que l'Amiral Canaris retire (fondamentalement) son soutien à hitler." (Etienne Lorenceau)
Canaris qui n'a jamais été nazi n'attend pas l'invasion de la Pologne pour trahir. Il est un opposant de longue date (fondamentalement).
"Car je tiens toujours compte de tous les éléments; ce sont des contradicteurs aveuglés par la passion, sur divers forums, qui ont pu vous faire croire le contraire" (François Delpla)
Il n'y a qu'à vous lire pour constater comment vous refusez de voir les éléments qui contredisent vos thèses. Pas besoin de "contradicteurs aveuglés par la passion" pour cela. |