Si dans l'après-guerre le silence des résistants face à la torture - Jean Moulin le premier - sera l'un des facteurs déterminants de leur héroïsation, l'époque contemporaine semble plus sensible à l'idée que, finalement, ils ont tous, plus ou moins, mais tous, parlé. Cette faiblesse semblerait avoir la vertu de les rendre plus humains, moins inaccessibles. Il est vrai que nos sociétés modernes préfèrent les victimes aux héros, certainement par la capacité projective qu'elles permettent. Tout le monde peut s'imaginer victime. Héros, c'est une autre question. On peut effectivement considérer que ton père* a beaucoup parlé, du moins a-t-il été interrogé "avec application" puisque le procès-verbal de son interrogatoire est constitué de seize pages.
Contrairement à ce que tentent de nous faire croire les gardiens des mémoires héroïques à l'usage de l'édification des masses, il n'a jamais été question d'émettre un quelconque jugement moral sur celles et ceux qui ont parlé, car parler sous la torture et les chantages odieux n'est pas trahir. Les archives des Brigades spéciales révèlent que la plupart des résistants arrêtés ont effectivement parlé. Les réseaux et mouvements donnaient d'ailleurs des consignes à leurs membres de tenir tant d'heures, le temps de mettre à l'abri les autres membres et de vider les caches, avant de lâcher noms et adresses et de ne surtout pas nier les évidences que leur mettaient sous les yeux des flics français et allemands très bien renseignés.
Cette réalité est moins glorieuse bien sûr; alors, pour la masquer dans les années d'après-guerre, on trouva des fusibles...
RC
* Pascal Convert s'adresse au fils de Joseph Epstein. (sous titre : lettre au fils)