Bonsoir,
Le journal "Combat Outre-Mer", n° 83 du 7 janvier 1943, publia les souvenirs et réflexions de René Capitant sur le débarquement à Alger (*)
Plutôt que de faire le résumé de cet article, avec le risque d'en dénaturer le contenu, je vous en propose un large extrait. Capitant décrit l'organisation de la branche algérienne du groupe "Combat", essentiellement un réseau de propagande et - c'est l'objet de l'extrait - en 1942, lorsque "Combat" décide de passer à l'action en se rapprochant du Groupe des Cinq.
...Mais il entendait bien n'en pas rester là et doubler ce réseau de propagande d'un réseau d'action, comme cela était fait depuis longtemps en France métropolitaine.
Nous estimions le moment venu à la rentrée de 1942.
Mais nous avions à ce moment reconnu l'existence de l'autre organisation et constaté que nombreux parmi nos lecteurs étaient ceux qui étaient déjà engagés dans ces rangs.
C'est pourquoi nous prîmes, à ce moment, contact avec eux. Je connaissais le rôle d'Achiary depuis longtemps. J'entrai en relations avec le capitaine Pilafort, avec Henri d'Astier, avec Jean L'Hostis.
Je leur proposai de fédérer nos organisations dans un mouvement unique, dont nous aurions été la branche "propagande", tandis qu'ils en auraient été la branche "action". Mais cela posait nécessairement le problème, sinon de l'orientation politique, du moins des principes d'un tel accord. Comme tous les mouvements de résistance français, "Combat" était, depuis son origine, gaulliste, décidément et catégoriquement gaulliste. La charte de notre action était comme pour l'ensemble des organisations de résistance française, la déclaration de mai 1942 du Général de Gaulle sur la base de laquelle avait été scellé l'accord entre la Résistance et lui.
Nous étions donc, à la fois, contre l'Allemagne et contre Vichy. Nous étions pour la reprise des armes, pour la restauration de la République, pour la rénovation politique, économique et sociale de la France. C'étaient là nos mots d'ordre. Ce sont encore nos mots d'ordre. Ce sont les grands principes qui ont dirigé l'action du général de Gaulle depuis juin 1940 et qui la dirigent encore.
C'était aussi - l'expérience l'a bien montré - la position de la majorité des patriotes qui s'étaient engagés dans l'autre organisation. C'était intégralement la position d'un L'Hostis, ce Breton sans peur et sans reproche, qui a monté et dirigé le réseau de renseignements. Mais ce n'était pas la position de tous ses chefs.
Le premier noyau de cet état-major s'était constitué dans l'entourage du général Weygand. Il s'y était ajouté ensuite des hommes connus de toute la France pour leur activité politique antérieure à la guerre et pour qui la Nation éprouve incontestablement une grande méfiance: M.M. Lemaigre-Dubreuil et Jean Rigault.
Il y figurait aussi des monarchistes, dont Henri d'Astier de la Vigerie était le principal représentant.
Il est vrai que ce dernier affirmait secrètement son attachement au général de Gaulle et prenait l'engagement de faire abstraction de ses sentiments monarchistes jusqu'au lendemain de la Libération.
Il n'en restait pas moins que la ligne politique suivie par l'organisation du 8 novembre différait profondément de celle de "Combat" et, plus largement, de la Résistance métropolitaine. Elle était, elle restait en liaison avec nos Alliés, exclusivement sans relations avec le Comité National Français, elle limitait volontairement son objectif à l'opération de débarquement, elle écartait systématiquement l'action de propagande, elle laissait dans l'ombre sa position de principe sur les grands problèmes politiques et nationaux auxquels, à juste titre, le général de Gaulle a accordé tant d'importance.
C'est ainsi qu'elle avait pu accepter l'idée - monstrueuse pour nous - de placer l'Afrique sous le commandement exclusif du général Giraud, en écartant rigoureusement de l'opération le général de Gaulle et le Comité National Français. On sait que le général de Gaulle ne fut, à aucun moment, avisé de l'entreprise.
Tout cela contenait, en germe, l'affreuse confusion politique qui devait suivre le 8 novembre. Nous en avions le pressentiment à "Combat". J'ai fait personnellement entre le 15 septembre et le 15 octobre 1942, un voyage en France qui me permit de comprendre beaucoup de choses. Je pus annoncer à mes amis de France ce qui allait se passer en Afrique. Et lorsque je proposai à Henri d'Astier une fédération possible de nos mouvements, j'affirmai constamment la position publiquement et irréductiblement gaulliste de "Combat". Lui, au contraire, tout en se déclarant secrètement gaulliste, estimait préférable de mettre son pavillon sous le boisseau et de conserver à l'association dont il était un des chefs, cette neutralité apparente, qui se révéla, plus tard, servir de couverture à des visées politiques très précises.
Mais les événements allaient se précipiter. Le débarquement, que j'escomptais personnellement pour le printemps, apparaissait brusquement comme une éventualité imminente. Jean L'Hostis m'apprit, le 6 novembre, qu'il devait avoir lieu dans la nuit du 7 au 8. Nous étions, à "Combat", incontestablement surpris par l'événement. C'est parce que nous étions gaullistes, d'ailleurs, que nous avions été systématiquement à l'écart des projets alliés.
De même, les groupes de résistance civils du Maroc furent volontairement tenus à l'écart par Jean Rigault. Eux aussi, étaient considérés comme trop démocrates et trop gaullistes. Le général Béthouart préféra agir seul, avec une quinzaine d'officiers. Ce sectarisme est la cause première de son échec. Plus de confiance dans les patriotes organsiés, aurait, sans doute, épargné bien des deuils et d'amers regrets.
Quoi qu'il en soit. "Combat" se trouvait acculé à une décision redoutable. Allait-il se tenir à l'écart d'une opération militaire qui, en elle-même, et quelles qu'en fussent les conséquences politiques, avait pour la suite de la guerre et pour la libération de la France une telle importance ? Les communistes, placés devant la même alternative, décidèrent de s'abstenir. Nous voulûmes, au contraire, être présents, obéissant, par avance, aux instructions que le général de Gaulle devait nous donner le lendemain par radio.
Mais, pris de court, je ne pus promettre à L'Hostis qu'un groupe de 50 hommes. Une quarantaine furent effectivement rassemblés le 7 novembre, à 23 heures, au garage Mérico, rue Charras. L'organisation du 8 novembre les désigna du nom de "Groupe Combat". C'est à partir de ce moment que certains donnèrent cette dénomination à notre mouvement lui-même.
Bien cordialement,
Francis.
(Source: Revue "Espoir", octobre 1981) |