Ces survivants de la Shoah dont personne ne veut - 1945-1948 - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

Ces survivants de la Shoah dont personne ne veut - 1945-1948 de Francis Deleu le mercredi 03 septembre 2014 à 21h36

L’article de septembre 2014 que Marc-André Charguéraud nous confie, détaille un aspect souvent oublié de l’antisémitisme scandaleux de l’Occident pendant les années qui ont suivi la guerre. Il surprendra la plupart de nos lecteurs nous dit son auteur.

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Ces survivants de la Shoah dont personne ne veut - 1945-1948

Les pays victorieux restent antisémites et refusent d’ouvrir leurs portes aux survivants juifs.
Pendant les trois années qui ont suivi la victoire, seuls 12 000 survivants juifs ont été admis aux Etats-Unis, 3 000 en Grande Bretagne et pratiquement aucun au Canada.[1] Ces chiffres sont ridiculement faibles, face aux 250 000 Personnes Déplacées juives (DP) qui croupissent dans des camps de fortune en Allemagne, la terre de leurs tortionnaires. [2] S’y ajoutent les centaines de milliers de rescapés juifs des pays de l’Est, persécutés, victimes de pogroms et plongés dans la misère la plus abjecte. La plupart n’a qu’un rêve, fuir le plus loin et le plus vite possible.

C’est l’histoire peu connue d’un second « Abandon des Juifs ». [3] Aucune action importante de sauvetage ne fut engagée par les pays alliés pendant la guerre. Dans les années qui ont suivi la Libération les pays victorieux auraient pu au moins ouvrir généreusement leurs portes aux survivants juifs. Il n’en a rien été.

Malgré les problèmes de reconversion de l’industrie militaire à la production civile, ces pays ont largement ouvert leurs portes aux immigrants étrangers pendant cette période. Quelque 190 000 sont arrivés aux Etats-Unis, plus de 200 000 en Grande Bretagne et quelques dizaines de milliers au Canada. [4] Aussi inconcevable que cela paraisse, Washington accorde une priorité à des dizaines de milliers d’Allemands ethniques et Londres laisse entrer 10 000 anciens Waffen SS. [5] Les anciens ennemis obtiennent des priorités que l’on refuse aux Juifs. Le slogan « tous sauf des Juifs » s’applique de nouveau. Des mesures d’exclusion dignes du Troisième Reich resurgissent. N’est-il pas inadmissible, après la victoire de mai 1945, de constater que la prise de conscience des exterminations en masse des Juifs n’a pas fait cesser l’antisémitisme. Qu’on en juge !

Généreux, le Président Truman décide en décembre 1945 que les DP’s seront prioritaires à l’immigration aux Etats-Unis. Un geste d’une rare hypocrisie. L’immigration reste soumise aux sacro-saints quotas de 1924. « Les quotas étaient calculés sur l’origine nationale et reposaient sur la notion de suprématie de la population nordique, ce qui ressemblait à s’y méprendre à l’idéologie nazie de l’aryanisme. Le Reich poussait dehors les Juifs pour la même raison qui rendait les Américains peu disposés à les recevoir », écrit l’historien Henry Feingold.[6]

La recette est simple. Les quotas sont calculés sur les origines nationales de la population résultant du recensement de 1890, alors que les millions de « Slaves » de l’Est de l’Europe ne sont arrivés aux Etats Unis qu’au tournant du siècle. Résultat le quota n’admet que 6 524 Polonais par an. [7] Or en septembre 1947, 140 000 DP’s sont Polonais. [8] Un Polonais doit donc attendre en moyenne 10 années pour obtenir un visa américain. Désespérant !

Truman, avec un œil sur les élections à venir, est en parfaite symbiose avec l’antisémitisme d’une majorité d’Américains. En 1944, 1945 et 1946, trois grandes organisations patriotiques très influentes, les Filles de la révolution américaine, la Légion américaine et les Vétérans des guerres étrangères exigent l’interdiction totale de l’immigration aux Etats-Unis pour les prochains cinq à dix ans. Plus spécifique, une enquête Gallup en août 1946 trouve que 72% des personnes interrogées sont contre l’admission d’un plus grand nombre de Juifs. [9] Une série d’enquêtes posent la question : « Avez-vous entendu des critiques ou des discussions contre les Juifs au cours des six derniers mois ? Oui 46% en 1940, 52% en 1942, 60% en 1944 et 64 % en 1946 ».[10]

En Grande-Bretagne, la politique se résume à un double refus à l’arrivée des Juifs. D’abord « pour ce qu’ils sont » leur race, leur religion, leur comportement. Ensuite « par ce qu’ils font », leur désir d’aller en Palestine et la nécessité pour eux de s’opposer violemment aux Anglais qui les en empêchent. On peut lire dans un rapport de la Commission royale sur la population présenté début 1945 : « L’immigration en masse dans une société aussi établie que la nôtre ne peut être bienvenue sans réserve que si les immigrants sont de bonne facture humaine, et ne sont pas empêchés par leur religion ou leur race de se marier avec la population locale et de s’assimiler à elle ». [11] Le mot « juif » n’est pas prononcé, mais lorsque l’on parle de sélection par la race et la religion, l’antisémitisme n’est pas loin.

Plus direct, dans un mémorandum présenté au Cabinet en novembre 1945, le ministre de l’Intérieur J. Chuter Ede conclut que « l’admission de nouveaux groupes de réfugiés, dont de nombreux seraient des Juifs, pourrait provoquer de fortes réactions de certains segments de l’opinion publique. Il y a aussi le risque d’une vague de sentiments antisémites dans ce pays ».[12] En mars 1947, un haut responsable britannique en Autriche illustre cette politique de façon brutale et définitive : « Il nous semble plus simple et plus efficace de recruter les DP sans prendre la nationalité en compte, sauf que nous devons exclure les Juifs (...) du fait de l’opposition de l’opinion publique chez nous ».[13]

Cette opinion publique réagit très vivement aux confrontations entre Juifs et troupes britanniques en Palestine. Des représentants de la communauté juive anglaise expriment leur consternation : « Même les observateurs les plus cyniques et les plus pessimistes n’auraient pas pu imaginer que l’Angleterre serait balayée par des accès d’antisémitisme aussi brutaux que ceux dont nous avons été témoins au cours des douze derniers mois (1946-1947) ». [14] Pas étonnant dans ces conditions que le Jewish Chronicle de Londres écrive en mars 1946 : « Un des phénomènes les plus étonnants de notre époque est que le martyre juif, au lieu d’attirer la sympathie et la réparation universelle, a provoqué une nouvelle avalanche de sentiments antijuifs ».[15]

Au Canada le refus d’admettre des réfugiés juifs relève de l’antisémitisme le plus primaire. En septembre 1945, A.L.Jolliffe, directeur de l’immigration, rappelle la politique raciste canadienne sans prononcer le mot de « Juif ». « Les lois canadiennes sur l’immigration prévoient une discrimination suivant la race et la classe sociale. Une certaine forme de discrimination ne peut être évitée si l’immigration doit être effectivement contrôlée pour éviter la création au Canada d’un groupe de plus en plus important d’une race non assimilable. L’interdiction de l’entrée des immigrants appartenant à une race non assimilable est nécessaire ». [16] Sur le terrain, M.C. Bordet, major canadien responsable de camps de DP’s en Allemagne, applique cette politique. Pour lui, les Juifs « ont le plus droit à notre sympathie, mais sont certainement les personnes les plus indésirables comme immigrants ».[17]

Une enquête de 1946 révèle que 61% des personnes interrogées sont opposées à toute immigration. Plus révélateur encore, une autre enquête la même année porte sur les « nationalités » auxquelles l’immigration au Canada doit être refusée. En tête se trouvent les Japonais, immédiatement suivis par les Juifs pour 50% des réponses. Surprenant et indigne, l’Allemagne de la Shoah, l’ennemi de l’Occident, n’occupe que la troisième place avec seulement 33% d’opinions négatives. [18] Pas étonnant que le pays reste fermé à l’arrivée de DP juifs.

L’Occident n’a pas voulu prendre en compte pour les DP juifs « leur passé horrible, leur présent invivable et leur futur incertain ». Pendant la guerre les Alliés ont justifié leur inaction devant le massacre des Juifs en prétextant que l’information leur manquait et qu’ils s’employaient avec tous les moyens dont ils disposaient à détruire les criminels nazis. Mais maintenant, les Alliés savent qu’un génocide d’une ampleur encore inconnue a eu lieu et ils sont les maîtres du monde. Pourquoi avoir attendu trois années pour adopter une politique d’immigration plus libérale ? [19] Une éternité pour ceux qui vivent dans des conditions indignes et qui appellent au secours. Les démocraties pouvaient-elles se résigner et admettre une nouvelle vague d’antisémitisme incontrôlée ?


[1] WASSERSTEIN Bernard, Les Juifs d’Europe depuis 1945, Calmann Lévy, Paris, 2000, p. 51. BAUER Yehuda, Jewish Survivors in DP camps. The Nazi Concentration Camps. In The Nazi Concentration Camps. Proceedings of the Fourth Yad Vashem International Historical Conference, Yad Vashem, Jerusalem, 1980, p. 503. CESARINI David, Dir. Justice Delayed, London, 1990, p. 80. De mai 1945 à mai 1948.

[2] PROUDFOOT Malcolm J. European Refugees 1939-1952 : A Study of Forced Population Movements, London, 1957, p. 239, 339, 341. DP’s en Allemagne, Autriche et Italie.

[3] Titre de l’ouvrage de référence de David WYMAN couvrant la période 1940-1945.

[4] DIVINE Robert, American Immigration Policy, 1924-1952, Yale University Press, New Haven, 1957, p. 193. Immigrants sous quota pour les années 1946, 1947 et 1948. WARHAFTIG Zorach, Uprooted, Jewish Refugees and Displaced Persons After Liberation, New York, 1946, p. 189. Cesarini, op. cit. p. 4 et 134. ABELLA Irving, PROPER Harold, None is too many : Canada and the Jews of Europe, 1933-1948, Lester & Orpen Dennys Publishers, Toronto, 1983, p. 218.

[5] DINNERSTEIN Leonard, America and the Survivors of the Holocaust, Columbia University Press, New York, 1982, p. 249. Allemands ethniques (Volksdeutsche) qui vivaient dans les provinces annexées par le Reich.

[6] FEINGOLD Henry L, Time for Searching : Entering the Main Stream ( immigration 1920-1945 ) John Hopkins University, Baltimore, 1992, p. 227.

[7] VERNANT Jacques, The Refugee in the Post World War, Allen and Unwin, Londres 1953, p. 483. Quotas américains d’immigration : Roumanie : 291, Bulgarie : 100. Lettonie : 236. Estonie : 116. Lituanie : 386. URSS : 2 798.
AGAR Herbert, Les Rescapés, Paris, 1964, p. 63. Rappelons que de 1901 à 1910 six millions d’émigrants de l’Est de l’Europe et de l’Ouest de la Russie ont été acceptés aux Etats-Unis, et de 1911 à 1920, six millions. Parmi eux une forte minorité de Juifs.

[8] MANKOWITZ Zeev W. Life between Memory and Hope. The Survivors of the Holocaust in Occupied Germany, Cambrige University Press, 2002, p. 19.

[9] GROBMAN Alex, Rekinling the Flame. American Jewish Chaplains and the Survivors of European Jewry 1944-1948, Wayne State University Press, Detroit, 1993, p. 167.

[10] DINNERSTEIN Leonard, Antisemitism in America, Oxford University Press, New York, 1994, p. 132.

[11] CESARINI op. cit. p. 70. La Commission a été mise en place en 1944 et remis son rapport définitif en 1949.
[12] IBID. p. 77.
[13] IBID. p. 79. Major.général Winterton commandant en second de la zone d’occupation anglaise. W.R
[14] IBID. p. 108.

[15] MATARD-BONUCCI Marie-Anne Dir. La libération des camps et le retour des déportés, Editions Complexes, Bruxelles, 1995, p. 246.

[16] ABELLA Irving et PROPER Harold, None is too many : Canada and the Jews of Europe, 1933-1948, Lester & Orpen Dennys Publishers, 1983, p.199.
[17] IBID. p. 226.

[18] ABELLA Irving, Canada, in WYMAN David Ed. The World Reacts to the Holocaust, The John Hopkins University Press, Baltimore et Londres, 1996, p. 758.

[19] La proclamation de l’Etat d’Israël en 1948 et de nouvelles lois aux Etats-Unis et au Canada libéraliseront l’accueil des Juifs qui veulent fuir l’Europe.

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