Modèle type du raisonnement négationniste :
1) un ex-médecin S.S. (présenté par Gerstein comme antinazi dans ses dépositions) écrit à la veuve de ce témoin, douze ans après la fin de la guerre, que son époux souffrait d'hypoclycémie (plus précisément de diabète) ;
2) donc ledit témoin n'est pas fiable ;
3) donc les chambres à gaz n'ont pas existé.
On appréciera la finesse du raisonnement. Que Gerstein ait été diabétique l'a-t-il empêché de gravir les échelons de la
S.S. ? De travailler à l'Institut d'hygiène de la
Waffen S.S. ? D'effectuer sa visite au camp d'extermination de Belzec ? De chercher à diffuser l'information de la "Solution finale" tout en livrant, au titre de ses fonctions, du
Zyklon B aux usines de mises à mort ?
Par ailleurs,
comme l'a fait remarquer, avec humour, Pierre Bridonneau,
"le docteur Pfannenstiel qui l'accompagnait, avait-il lui aussi le diabète ? Un équilibre physique et mental précaire ? Ce serait quand même curieux que tous les deux aient été diabétiques et qu'ils se soient trouvés en état précomateux, en même temps, devant la chambre à gaz. L'adage de jurisprudence Testis unus, testis nullus (témoin seul, témoin nul) qui fait entendre que le témoignage d'un seul est insuffisant pour établir la vérité d'un fait devrait conduire, logiquement, à produire un second témoin quand on en a un sous la main. Et de taille. Un professeur nazi, dont toutes les versions mentionnent qu'il était présent auprès de Gerstein, et qui a confirmé, après la guerre, devant un tribunal, qu'il se trouvait avec ce dernier."
En fait, l'allégation de "Lucien Bucéphale" a été repompée à partir des foutaises du négationniste Henri Roques, lequel a lui-même extrait la phrase de l'ex-médecin
S.S. d'une biographie de Gerstein rédigée par Saul Friedländer (
Kurt Gerstein ou l’Ambiguïté du Bien, Casterman, 1967, p. 152), qui avait également fait mention de cet élément
dans un article du Spiegel paru le 6 janvier 1969.
Mais Friedländer n'en déduisait certainement pas que Gerstein était un malade mental victime d'hallucinations. Le diabète dont souffrait Gerstein, et qui l'amènera à être hospitalisé à diverses reprises en 1944, était vu par l'historien comme susceptible de jeter un éclairage sur sa personnalité, celle d'un
S.S. livrant aux nazis, ses collègues de travail, le gaz servant à anéantir les Juifs, et celle d'un Résistant, traumatisé par le spectacle du gazage de Belzec, obsédé à l'idée de communiquer au monde l'indicible, de saboter de l'intérieur la machine du meurtre de masse. Friedländer insistait également sur les dépressions qui se sont abattues sur Gerstein, et qui peuvent expliquer son suicide. Ces maladies, en définitive, en disaient long sur la manière dont Gerstein a vécu, ou a souffert, son statut d'agent-double.
Le négationniste Henri Roques, recopié par "Lucien Bucéphale", n'a évidemment pas cherché à éclairer le contexte de la phrase du Dr. Nissen. Il la jette en pâture au lecteur de sa thèse en espérant - avec un brin de naïveté - qu'elle contribuera à discréditer Kurt Gerstein, ce témoin qui, décidément, agace singulièrement les négagas. Pas de surprise :
le négationnisme est une anti-Histoire.