Bon résumé par Pierre Milza & Serge Berstein,
Le Fascisme italien. 1919-1945, Seuil, coll. Points-Histoire, 1980, p. 345 :
La solution du compromis ayant échoué, la seule voie possible est maintenant celle du renforcement des sanctions. Il est évident qu'à ce moment la seule mesure efficace aurait été un embargo sur le pétrole, les réserves italiennes ne permettant en février 1936 l'approvisionnement des chars et de l'aviation que pour trois mois et demi.
Cela aurait supposé que la France et le Royaume-Uni fussent décidés à agir efficacement contre l'Italie. Or c'est loin d'être le cas. Laval envoie le 22 décembre une lettre privée au Duce dans laquelle il réaffirme les positions amicales de son gouvernement à l'égard de l'Italie. Il s'ensuit un échange de lettres où Laval et Mussolini polémiquent courtoisement sur la signification des "mains libres" évoquées à Rome en janvier 1935. Du côté britannique, si Eden semble déterminé à agir, ses collègues du cabinet sont généralement réservés. Dans ces conditions, les décisions de la S.D.N. se trouvent retardées par d'interminables discussions préliminaires et techniques. Sur la question du pétrole, l'attitude adoptée par les Etats-Unis est évidemment fondamentale. En août 1935, le Congrès a voté une "loi de neutralité" interdisant toute vente de matériel de guerre aux pays belligérants et permettant au président de restreindre, s'il le juge bon, toutes les exportations à destination de ces pays. Roosevelt peut donc en théorie interdire la vente de pétrole à l'Italie. Mais, devant cette redoutable éventualité, les compagnies pétrolières font pression sur le Sénat et, à la fin de décembre, la Commission des Affaires étrangères rejette l'idée d'un embargo sur le pétrole destiné à l'Italie. C'est condamner d'avance toute initiative de la S.D.N. en ce sens.
En fait, le gouvernement britannique était plutôt disposé à imposer un embargo sur les matières stratégiques telles que le pétrole, pour contenir l'expansion italienne et rassurer sa propre opinion publique.
Toutefois, aussi bien les experts mandatés par Londres que ceux de la S.D.N. avaient abouti à la conclusion que restreindre l'accès de l'Italie au pétrole ne se traduirait par aucun effet tangible, et à plus forte raison ne mettrait pas en échec l'invasion de l'Ethiopie - voir G. Bruce Strang, "The Worst of all Worlds. Oil Sanctions and Italy's Invasion of Abyssinia. 1935-1936",
Diplomacy & Statecraft, Vol. 19, n°2, juin 2008, p. 210-235. Une telle inefficacité a d'ailleurs été récemment confirmée par Cristiano A. Ristuccia,
"1935. Sanctions against Italy: Would Coal and Crude Oil Have Made a Difference?",
Oxford University Economic and Social History Series, 1997.
A cet égard, comme le soulignent les deux historiens français précités, le rôle des Etats-Unis était déterminant. Auraient-ils suivi la S.D.N., l'Italie tombait littéralement en panne d'essence dès le premier trimestre 1936, tandis que sa production industrielle n'aurait pas manqué de s'effondrer. Mais il n'y a pas eu de véritable pression diplomatique en ce sens, et le lobbying des sociétés pétrolières a porté ses fruits, de sorte que Mussolini a continué à recevoir du carburant américain, alors que l'administration Roosevelt apparaissait favorable à des mesures de rétorsion.