Bonsoir,
Au premier abord, cette monographie très détaillée déconcerte. L'auteur, René Mathot, reconstitue minutieusement les déplacements, l'emploi du temps, les conversations de table, les entretiens politiques et militaires de Hitler, ses promenades dans les bois environnants Brûly-de-Pesche, etc... L'ensemble de l'ouvrage donne l'impression d'un fourre-tout où se mêlent, par exemple, chapitres qui ressemblent à un annuaire de chemins de fer, chapitres qui relatent la visite d'un dignitaire ou d'un journaliste, chapitres qui décrivent le menu d'un repas. En y regardant de plus près, le livre est une mine inestimable de renseignements sur cette période et sur la personnalité de Hitler. L'historien a recueilli les nombreux témoignages de tous ceux qui ont accompagné le Führer: les témoignages des généraux ou des ministres mais aussi les témoignages des chauffeurs, du pilote personnel, des secrétaires, des valets de chambre...et ce ne sont pas les moins intéressants.
Entre autres, sait-on que les conditions de l'armistice furent fébrilement élaborées et supervisées par Hitler lui-même dans la petite église de Brûly-de-Pesche, dans la nuit du 20 au 21 juin, quelques heures avant la réunion de Rethondes. Laissons la parole à Paul Schmidt, traducteur en chef de la délégation allemande:
*** Dans l'après-midi du 20 juin, je fus convoqué au quartier général de Hitler. (...). On me remit le texte des conditions d'armistice, en vue de sa traduction qui devait être remise le lendemain à Rethondes à une délégation française. Par précaution, j'avais fait venir un traducteur du Service de Berlin, par l'avion-courrier, et le petit groupe italien qui depuis quelque temps devait constamment rester à proximité de Hitler, pour pouvoir traduire à tout moment une lettre à Mussolini. Ce groupe avait été choisi de manière que ses membres puissent également traduire en français. Avec ce Service des traductions en miniature, je travaillai dans la nuit du 20 au 21 dans la petite église du village, à la lueur des chandelles. Je fus saisi par cette atmosphère étrange qui régnait devant l'autel voilé, dans la nef emplie d'ombre, tandis que dans un coin, on entendait traduire à mi-voix, en phrases françaises, les conditions à imposer à la France avec, comme accompagnement, le claquement assourdi des machines à écrire. Quel contraste avec les salles abondamment illuminées du palais de Ribbentrop, dans la Wilhelmstrasse, où nous traduisions, peu de temps auparavant, en de multiples langues et avec accompagnement des multiplicatrices, les documents d'une guerre qui trouvait un de ses aboutissements ici, dans la petite église silencieuse!...
De temps à autre, Keitel et même parfois Hitler lui-même venaient nous trouver dans notre église pour s'assurer que nous serions prêts à temps ou pour apporter encore quelque correction au texte allemand. La salle, où l'on relisait une dernière fois les conditions d'armistice que nous étions déjà en train de traduire, devait se trouver tout près [l'école de Brûly-de-Pesche] où logeaient Keitel et Jodl. Nous ne reçûmes la dernière page qu'après minuit et quand l'aube pointa, nous avions terminé notre tâche et tenions un exemplaire prêt pour être remis aux Français. ***
Une anecdote? Bien sûr! Mais toutes ces anecdotes reliées les unes aux autres font la petite histoire sans laquelle l'Histoire serait bien fade.
Bien cordialement,
Francis. |