Si on oublie un moment l'écrivain mondain qui termina sa carrière fulgurante un dimanche sur une route de l'Ouest, on (re)découvre un homme sensible et finalement très moral qui rata la guerre et en singea les attitudes en s'engageant dans les hussards motorisés en 1945.
La grande affaire de Nimier était de faire évader les "gendelettres" des casernes idéologiques dans lesquelles les maîtres à penser voulaient les enfermer à nouveau. C'est Jean-Paul Sartre avec qui Nimier entretenait un rapport fascination/répulsion qui incarnait cette littérature de "grandes personnes". Les maîtres penseurs avaient laissé saccager l'Europe des nostalgies que ces jeunes gens qui avaient un peu plus de vingt ans dans le demi-siècle cultivaient par désespoir. La guerre froide avait remplacé les massacres de masse et chaque écrivain était sommé de rendre des comptes; il fallait absolument s'engager, ce qui poussa Nimier et ses complices à opter pour une attitude dégagée, jouant la provoc' en revendiquant l'héritage de certains écrivains proscrits comme Jouhandeau, Chardonne ou Fraigneau. Le style primait sur la thèse et une génération s'y reconnut : de Bernard Frank sur sa gauche à Jacques Laurent sur sa droite, ces adeptes d'une littérature buissonière préféraient comparer les lignes d'un coupé sport ou commenter une passe de rugby pour éviter de penser au désespoir né dans les cendres d'Hiroshima.
Roger Nimier travaillait tard la nuit et beaucoup. Grand lecteur, il nous a laissé les deux volumes de ses "Journées de lecture" chez Gallimard où sont rassemblées de courtes notes sur les écrivains de son temps et quelques grands précurseurs.
Amicalement,
René Claude |