Mai 1940 en Suisse - La Suisse et la guerre 1933 - 1945 - forum "Livres de guerre"
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Edition du 06 septembre 2008 à 19h29

La Suisse et la guerre 1933 - 1945 / Werner Rings

 

Mai 1940 en Suisse de Christian Favre le dimanche 06 juillet 2008 à 19h01

La résistance page 187

Encore 1e 10 mai 1940, le jour de l'attaque allemande dirigée contre les Pays-Bas, la Belgique, et le Luxembourg, la question de savoir comment se comporter paraissait oiseuse.
II n'y avait pas d'alternative. L'indignation causée par l'invasion des trois petits Etats neutres par l'Allemagne était générale. Le droit à la résistance de l'attaqué et son devoir de se défendre étaient indiscutables. La presse suisse réagit par des accusations portées très ouvertement, se comportant ainsi d'une manière qui paraît encore remarquable avec le recul que donne l'écoulement des années.
Les journaux de la Suisse alémanique parurent, par exemple, avec les titres et manchettes suivants: Un nouvel acte de violence inouï contre des peuples neutres et pacifiques - Des hommes attaqués odieusement en Belgique, au Luxem¬bourg et aux Pays-Bas - Une nouvelle violation inouïe du droit des gens - L'envahissement brutal de trois petits Etats neutres - Un parjure et un crime contre le droit des gens - Nouvelles victimes d'une rage de conquête inouïe. La presse de la Suisse romande ne réagit pas différemment: Seule règne la loi de la jungle - Un attentat froidement prémédité - Trois petites nations neutres attaquées avec une implacable cruauté.
Les journaux tessinois manifestèrent de la même façon: Nuovo colpo di violenza e di audacia della Germania - Come la belva nel bosco.
La manchette d'un journal de la Suisse romande exprima fort bien l'opinion dominante par ces mots: c'est la barbarie qui est déchaînée.
Les journaux et la population de toutes les régions du pays réagirent comme si la Suisse avait été attaquée ou si une attaque brusquée était imminente. La solidarité avec les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg était entière. On n'exagérait pas en affirmant que le peuple et l'armée étaient résolus à se battre.
De fait, le pays était en état d'alarme renforcé; dans l'espace aérien au-dessus des régions à la frontière Nord, il était même pratiquement en guerre. Des combats avaient lieu au-dessus du Jura. Dans les jours et les semaines qui suivirent, il y eut des combats aériens entre des chasseurs suisses et allemands. Des avions furent abattus et il y eut des morts.

La panique

L'aviation suisse s'employa avec rapi¬dité et décision à faire respecter le droit des neutres de protéger leur espace aérien contre les incursions d'avions de puissances belligérantes et recourut pour cela à l’emploi des armes. C’est ce qu’on a appelé la protection de la neutralité. L’offensive dans les Pays-Bas et en Belgique débuta à l’aube. Elle avait été fixée à 5h35.
Cinq minutes plus tard, le chasseur Hans Thurnheer décollait avec son escadrille pour effectuer la première patrouille à la frontière. Entre Brugg et Bâle, il rencontra un bombardier allemand. Il somma son commandant d'atterrir, mais le bombardier répondit en ouvrant le feu, Thurnheer riposta. Le bombardier prit feu.
Au cours de quatre semaines, 82 patrouilles de chasseurs suisses engagèrent 41 fois le combat. Durant cette période, l'espace aérien suisse fut violé 197 fois, presque toujours par des bombardiers et des chasseurs allemands. Les escadres allemandes exécutaient des attaques contre l'arrière-pays français. Elles empruntaient l'espace aérien suisse à l'aller et au retour.
Quand bien même les combats aux Pays-Bas et en Belgique se déroulaient à une grande distance, la situation militaire générale paraissait extraordinairement tendue à la frontière Nord de la Suisse, et pas seulement dans les airs. De l'avis du commandement de l'armée, un septième des forces allemandes était concentré en Allemagne du Sud. Au moins dix divisions à l'effectif de guerre étaient stationnées à 30 kilomètres seulement de la frontière. Sept suffisaient pour attaquer la Suisse. Le bulletin secret de l'état-major de l'armée motivait la seconde mobilisation générale de cette guerre, fixée au 11 mai, en disant que la Suisse courait le danger d'être entraînée d'une heure à l'autre dans le tourbillon meurtrier.
Aujourd’hui, maintenant que les historiens militaires ont étudié avec soin les événements d’alors, nous savons que les craintes étaient excessives. Le danger d’une agression allemande était surestimé. Nous en connaissons la raison: le commandement de l'armée suisse, de même que l'état-major général français, ont été victimes d'une duperie raffinée.
Commençons par voir comment la situation se présentait alors pour le Conseil fédéral et le commandement de l'armée.
Le 12 mai, on apprenait que les troupes allemandes avaient été encore considérablement renforcées dans le voisinage de la frontière. Au bord du Rhin, des préparatifs étaient en cours pour jeter des ponts à travers le fleuve. Dans un vaste territoire frontière, les poteaux indicateurs portaient non plus le nom de localités mais la mention exacte de la distance jusqu'à la frontière suisse. Le jour suivant, l'attaché militaire suisse à Paris communiquait ce que le chef du service des renseignements de l'armée française lui avait contié: on était extrêmement inquiet du sort de la Suisse.
Durant la nuit du 14 au 15 mai, le commandement de l'armée Suisse était convaincu que l'attaque allemande était imminente. Le déclenchement des opérations était attendu pour 02 heures. Les troupes de la Wehrmacht à disposition pour cela étaient estimées à 16 divisions à l'effectif de guerre. La situation était si tendue que, dans les bâtiments des représentations diplomatiques des puissances occidentales à Berne et au service des renseignements de l'état-major général de l'armée uisse, on avait commencé, au cours de après-midi, à brûler tous les documents qui n'étaient pas absolument indispensables.
Dans son rapport à l’Assemblée fédérale, le commandant en chef de l’armée suisse écrivait : « Un vent de panique soufflait sur le pays, les faux bruits se répandaient…Un vaste exode se dessinait en direction de la Suisse romande. La nuit du 14 au 15 mai marqua le point culminant de ce mouvement de panique. Ce fut aussi l'époque où, sans que le pays sût exactement pourquoi, nous courûmes un réel danger militaire.»
Lorsque le jour se leva sans que l'attaque attendue se fût produite, le chef du service suisse des renseignements résuma encore une fois la situation en disant qu'à son avis, il fallait se comporter comme si l'attaque pouvait être déclenchée d'une heure à l'autre.
Peu après, au moment où l'on apprit que l'armée des Pays-Bas avait déposé les armes, le général Guisan ordonna l'état de préparation renforcée pour l'aviation. La surveillance aérienne devait être étendue à la région au-delà de la frontière.

La feinte

Aujourd'hui, nous savons que la situation avait été, en réalité, bien moins inquiétante qu'on ne l'avait cru. Les Allemands avaient intentionnellement éveillé l'impression qu'ils allaient attaquer la Suisse. Il s'agissait d'une opération de feinte, envisagée de longue date, préparée dans le plus grand secret, puis exécutée avec précision.
La manoeuvre avait déjà commencé au printemps par des transports simulés, exécutés systématiquement, pour faire accroire que des troupes allemandes se déplaçaient en direction de la Suisse. Au moment où la Wehrmacht attaqua les Pays-Bas et la Belgique, elle procéda au Sud, pour ainsi dire aux portes de la Suisse, à une mise en scène avec de grands moyens.
Une importante concentration fut simulée. Des trains militaires, stores baissés, roulaient dans la direction de la Suisse, mais ils étaient vides. Venaient ensuite des colonnes de camions avec des fantassins qui, faiblement armés, n’étaient pas en état de combattre ; à la faveur de la nuit, les colonnes roulaient en sens inverse pour revenir une deuxième, une troisième et même une quatrième fois dans la zone frontière. Il y avait des trains transportants des blindés et des bouches à feu dissimulés sous des des bâches, mais c'étaient des attrapes. On entendait le bruit des blindés manoeuvrant dans la nuit, mais c'était, si l'on peut dire, un bruit de théâtre obtenu au moyen de quelques véhicules seulement. Des officiers dans de faux uniformes, des rumeurs mensongères, des messages radio lancés pour donner le change: le bluff était parfait.
Et il atteignit son but.
Le haut-commandement français prit ses dispositions en vue d'une percée allemande par la Suisse. Il comptait que la Wehrmacht tenterait de tourner la ligne Maginot, de pénétrer profondément dans l'arrière-pays, d'encercler les forces françaises par un grand mouvement en tenailles, de les attaquer simultanément par le Nord et le Sud. Des troupes dont on aurait eu un urgent besoin au Nord pour arrêter l’avance allemande en Belgique furent disposées au Sud le long de la frontière suisse. Les services des renseignements des armées des puissances occidentales avaient failli à leur tâche. Le service suisse, lui aussi, s'était laissé berner. Au lieu des 23 divisions que Berne et Paris supposaient se trouver au Sud du l'Allemagne, il n'y en avait que 10. Et il n'y avait que 6 divisions concentrée à proximité immédiate de la frontière suisse, et non pas 16 comme l'avaient annoncé les agents secrets. C'était trop peu pour une «opération Suisse».
Mais c’est là une connaissance acquise subséquemment, qui n’infirme rien de ce qu’on avait pensé et redouté à l’époque, rien de l’état de contrainte dans lequel on croyait se trouver, rien des dangers qui devaient être pris au sérieux. A côté des dangers imaginaires, il y en avait qui existaient réellement sans qu'on pût les discerner. C'est également grâce aux recherches des historiens que nous savons maintenant que, le 26 juin 1940, vers la fin de la manoeuvre de feinte, le commandant en chef du groupe d'armées C reçut l'ordre d'élaborer les plans d'une attaque dirigée contre la Suisse et d'une occupation militaire de ce pays.
Il n'est pas prouvé, mais il est fort possible que l'idée d'une opération militaire contre la Suisse et l'ordre de l'englober dans les plans du haut commandement allemand aient été en rapport avec les combats aériens qui s'étaient déroulés peu auparavant, au début de juin, entre aviateurs suisses et allemands.

Des avions allemands abattus

Les combats aériens avaient une valeur exemplaire. C'étaient des actes de guerre, de la résistance en action. Les suites devaient être considérables.
La petite aviation suisse était, à cette époque, en quelque mesure sortie de son état d'incapacité quasi totale. Elle avait été fortement développée depuis les premiers jours de la guerre. L'Allemagne lui avait livré 50 Messerschmitt modernes qui avaient été commandés et payés avant la guerre. D'autres appareils étaient encore arrivés peu avant le début des hostilités, mais ne furent mis en service que plus tard. Le commandement de l'aviation disposait maintenant de 90 chasseurs aptes à la guerre. L'industrie suisse des armements avait entre-temps fabriqué 175 canons de défense contre avions.
La surveillance de l'espace aérien a la frontière était assurée par des patrouilles dites d'alarme. Un service de repérage d'avions, qui scrutait le ciel, et ses centrales d'alarme et de repérage devaient se contenter des appareils simples d'une époque où l'on ne connaissait pas l'électronique. Des vigies postées sur des toits ou des sommets de montagne et munies de jumelles communiquaient par téléphone leurs observa¬tions aux centrales d'alarme. Des appareils d'écoute captaient les bruits de moteur suspects dans le ciel du Nord, amplifiaient les bruits à peine perceptibles, enregistraient la direction. Des cartes sur lesquelles toutes les informations téléphoniques étaient reportées permettaient enfin de déterminer où des avions étrangers avaient pénétré en Suisse et quelles directions ils prenaient. C'était compliqué et prenait du temps. L'ordinateur n'était pas encore inventé. Au cours des quatre premiers jours de juin, il y eut plusieurs rencontres.
Le ler juin, douze bombardiers allemands pénétrèrent dans l'espace aérien suisse. Quatre chasseurs suisses les rejoignirent au-dessus du Jura. Lorsqu'ils sommèrent les pilotes des bombardiers d'atterrir, ils essuyèrent le feu de ces avions. Ils ripostèrent. Deux bombardiers furent abattus, tandis que les Suisses ne subissaient pas de pertes.
Il y eut de nouveau des combats le jour suivant, cette fois aussi provoqués par une formation de bombardiers allemands. Un avion Heinkel, gravement endommagé, fut contraint d'atterrir près d'Yverdon, tandis que son équipage était fait prisonnier. Pas de pertes du côté suisse.
Le 4 juin, des combats aériens se dérou¬lèrent au-dessus des Franches-Montagnes. Les formations de bombardiers allemands volaient cette fois sous la protection offensive d'avions de combat. Un bombardier fut abattu. Les débris tombèrent sur sol français. Un pilote suisse trouva la mort.
Ces combats eurent des suites diplomatiques. Le gouvernement du Reich intervint à Berne. A peine 48 heures après le dernier combat, il fit remettre une note au Conseil fédéral.
Il protestait contre ces «actes d'hostilité», contre ces «procédés sans exemple» d'un pays neutre. Il soutenait que des bombardiers allemands avaient été attaqués et abattus au-dessus du territoire français. Sauf dans deux cas d'erreurs de navigation, disait-il, aucun avion allemand n'a jusqu'à présent pénétré dans l'espace aérien suisse.
La note demandait au Conseil fédéral de s'excuser formellement de ces «faits inouïs» et de réparer le dommage causé par les aviateurs suisses. Elle ajoutait, menaçante, que le gouvernement allemand saurait, à l'avenir, empêcher de telles attaqucs.
Par le détour d'un journal hongrois informé par les "milieux officiels à Berlin", le gouvernement allemand fit savoir au monde et au Conseil fédéral qu'il était décidé à agir militairement contre la Suisse si le conflit diplomatique n'était pas réglé en quelques heures.
Le Conseil fédéral réfuta l'exposé allemand des faits: aucun avion n'avait été attaqué au-dessus du sol français. Pour la façon dont les combats s'étaient déroulés, il se fondait sur le fait qu'il possédait des indications précises concernant le lieu et le temps. Il regrettait qu'il y eut pertes de vies humaines, proposa de nommer une commission d'enquête mais affirma qu'il avait le droit de protéger la souveraineté suisse dans les airs par tous les moyens.
La note suisse fut remise au ministre d'Allemagne à Berne le 8 juin.
Ce jour-là, les patrouilles d'alarme étaient dans un état de préparation renforcée déjà à 03h.30.

Une expédition punitive des Allemands

Pour la première fois fonctionnait une centrale de direction des vols qui renseignait les formations en vol sur la situation dans les airs.
Les escadrilles d'alarme apprirent par elle vers la fin de la matinée que six chasseurs allemands avaient attaqué et abattu un avion suisse d'observation, un vieux modèle, non armé. Un second message radio annonçait que des formations d'avions allemands croisaient au-dessus du Jura.
Ce n'est qu'après la guerre qu'on apprit pourquoi ces formations avaient pénétrés en Suisse. Le commandant en chef de la Luftwaffe, le maréchal Göring, avait ordonné une expédition punitive. Des formations de la "légion Condor", équipés de machines les plus modernes du type Me 110, avaient reçu des ordres pour cela.
Les patrouilles d'alarme qui étaient déjà en vol reçurent par radio l'ordre de se rendre dans l'espace aérien dominé par les formations allemandes; d'autres prirent l'air immédiatement avec la même mission.
Un spectacle inhabituel s'offrit aux pilotes suisses pendant le vol d'approche. Le lieutenant Thurnheer vit «avec ébahissement» toute une série d'avions étrangers. Le commandant Walo Hörning, qui s'approchait par un autre côté avec huit machines de son escadrille, aperçut de loin «une immense masse confuse d'avions brillant au soleil».
Thurnheer et Hörning comprirent que les chasseurs allemands ne faisaient pas que traverser l'espace aérien suisse. Ils opéraient dans cet espace; ils l'occupaient.
Lcs appareils allemands ne volaient pas en formation normale.
Des groupes de trois volaient en rond, à différentes hauteurs, pour ainsi dire à différents étages, chaque escadrille à quelque 1000 mètres au-dessus de l'autre. On était comme en présence d'une tour.
C'était une provocation ouverte au combat. Les Suisses n'avaient pas le choix. Ils devaient attaquer, quoique les Allemands eussent la supériorité. Leurs Me 110 à deux moteurs étaient plus modernes, plus rapides et plus maniables que les Me 109 des Suisses. L'adversaire engageait dans le combat une force trois fois supérieure: 32 appareils allemands contre 10 suisses. La «tour» était pareille à une fortification imprenable.
Suivant les déclarations des pilotes, les combats se déroulèrent d'une manière inattendue.
Lorsqu'un Suisse s'approchait de la «tour», un avion allemand se détachait de son escadrille et volait à sa rencontre. Attaqué, l'Allemand acceptait le combat, mais pour peu de temps seulement. II s'esquivait ensuite inopinément, opérait un virage aigu et prenait, semblait-il, la fuite. Le Suisse lui donnait la chasse, le poursuivait jusqu'à l'intérieur de la «tour». A ce moment, une formation allemande de trois avions se précipitait sur lui d'un étage supérieur en tirant. C'était un piège.
La supériorité de l'adversaire était écrasante. Les Suisses devaient chercher à se libérer, à se débarrasser des chasseurs qui les attaquaient de tous les côtés, à sortir vivants de la «tour».
Mais les Suisses avaient appris à se dérober. Savoir fuir rapidement était leur force. Comme le disait une fois Walo Hörning, devenu colonel EMG, ils s'étaient exercés avec application «à la sueur de leur front» à trouver une issue par une manoeuvre verticale.
Ils s'esquivèrent rapidement par le haut ou par le bas, exécutèrent à toute vitesse trois ou quatre loopings, le dernier jusque très bas, en finissant par un demi-tonneau.
Si les Allemands poursuivaient les Suisses, ils étaient exposés, dans leurs appareils plus rapides, aux effets presque insupportables de la gravitation. Ils abandonnaient la poursuite.
Les Suisses pouvaient dès lors attaquer de nouveau, mais en recherchant toujours le combat singulier. Ce n'est que dans le duel qu'ils pouvaient se mesurer avec l'adversaire.

Hitler intervient

Le déroulement et le résultat de ces combats surprirent aussi bien le commandement suisse que l'allemand. Certes, plusieurs appareils suisses furent mis hors de combat, mais ils regagnèrent leurs bases. Atteint de coups de feu dans les poumons et à la cuisse, un pilote ramena sûrement au sol son appareil criblé de 30 projectiles. Aucun avion suisse ne fut perdu.
La Luftwaffe perdit en revanche au moins trois appareils. Plusieurs de ses avions, incendiés, quittèrent l'espace aérien suisse dans la direction de la France. L'un d'eux put être considéré avec sûreté comme perdu.
Les pertes allemandes s'étaient ainsi élevées depuis le début de l'offensive â l'Ouest à dix bombardiers et chasseurs. Durant le même laps de temps, l'aviation suisse avait perdu deux appareils, un vieil avion d'observation et un chasseur.
C'était un succès. Mais sur quoi débouchait-il?
Durant la seconde guerre mondiale, l'aviation suisse fit descendre 251 appareils étrangers, en en abattant 26. Elle même perdit en tout et pour tout quatre appareils. La Suisse fit prisonniers et interna 1618 hommes de l'équipage des bombardiers qui avaient été contraints d'atterrir et dont quelques-uns avaient cherché refuge dans le pays. Dans les dernières années de la guerre, il s'agissait surtout d'Américains. Mais qu'auraient pu faire les aviateurs suisses chargés de la police de l'air contre la puissante machine de guerre du Troisième Reich?
«Ces avions qui décollent, qui évoluent et combattent, sur quoi sont-ils basés? De quelle sécurité immédiate, de quelles possibilités d'action disposeraient-ils en cas d'agression brusquée`» se demandait, dans son journal ** Bernard Barbey, le chef de l'état-major particulier du Général. Les places d'aviation étaient mal défendues. Prendre l'air aussitôt était la seule sécurité. L'existence de l'aviation se limitait à deux jours au plus, «mission de sacrifice».
Les succès remportés dans les combats du 8 juin ne pouvaient susciter l'enthousiasme, pas même une joie calme et sereine. L'idée de «vaincre» n'avait rien de rassurant, la perspective de ce qui adviendrait ensuite était inquiétante,
Lorsque le président de la Confédération, Pilet-Golaz, reçu la nouvelle des succès, il était en train de remettre au ministre d'Allemagne une note encore très ferme répondant aux fausses accusations et aux menaces formulées en raison des premiers avions abattus. Lui aussi fut plus effrayé que réjoui.
Le ministre d'Allemagne, qui avait été renseigné avant le Conseil fédéral sur l'issue des combats aériens du matin, saisit l'occasion pour marquer combien grave il jugeait la nouvelle situation.
Les conseillers fédéraux et le Général se réunirent pour une délibération extraordinaire. Pour des raisons de discrétion, la conférence eut lieu au domicile du président de la Confédération, et non pas au palais fédéral. Pas même le chancelier était présent.
Le conseiller fédéral Enrico Celio se rappelle que le général Guisan ne souffla mot durant la discussion.
Le commandant en chef se taisait.
Pendant ce temps, on prêta en Allemagne une importance démesurée à ces combats aériens. Quand bien même, en comparaison des combats de cette grande guerre, il ne s'agissait que d'escarmouches vraiment sans importance, Hitler intervint personnellement. Tout occupé qu'il était par la bataille de France, il ne laissa pas s'écouler 24 heures. Le 9 juin, il invita le général commandant le 5è corps d'aviation, qui avait participé aux combats, à le rejoindre à son quartier-général. II lui ordonna de l'informer désormais sur tout ce qui se passerait dans l'espace aérien de la Suisse. Il fit savoir â ses plus proches collaborateurs qu'il prenait lui-même l'affaire en main.

Des concessions

Le jour suivant, l'Italie entrait en guerre. A de courts intervalles se succédaient des événements aussi importants que l'entrée des Allemands â Paris, l'effondrement du front français, l'arrivée de chars allemands aux frontières de la Suisse occidentale.

Le Conseil fédéral et le commandement de l'armée étaient entre-temps tombés d'accord pour reconnaître qu'il ne fallait pas exacerber le conflit avec l'Allemagne. Aussi le Général avait-il déjà ordonné le 13 juin que l'alarme ne serait pas donnée en cas de violation insignifiante de l'espace aérien.
Le 19 juin arriva à Berne la note allemande impatiemment attendue.
Le ton était extraordinairement dur. Le Conseil fédéral était informé que le gouvernement du Reich renoncerait dorénavant à des communications écrites si les incidents dans l'espace aérien devaient se répéter. Les intérêts allemands seraient protégés «d'une autre manière».
Le président de la Confédération, Pilet¬Golaz, riposta par une note qu'il remit personnellement au ministre d'Allemagne. Elle concernait l'arrestation des saboteurs allemands qui avaient pénétré en Suisse pour y détruire des installations militaires. Le Conseil fédéral protestait.
La protestation suisse n'était qu'un vain exercice de rhétorique. Mais derrière la menace allemande il y avait plus: une puissance très réelle. Encerclée par les puissances de l'Axe, la Suisse, elle aussi, était à la merci des Allemands. Lorsque ceux-ci bloquèrent les exportations de charbon, elle se sentit proche de l'étranglement.
Le moment du repli forcé était arrivé. Le 20 juin, le général Guisan ordonna la fin de la «protection de la neutralité» dans l'espace aérien. Plus de patrouilles d'alarme au-dessus des régions frontières. Seules les batteries de la défense contre avions pourraient encore tirer contre des avions étrangers. II fallait au moins une escadrille de trois appareils pénétrant profondément à l'intérieur du pays pour que les patrouilles d'alarme puissent entrer en action comme d'habitude.
Vint ensuite la cascade des concessions du Conseil fédéral.
Les pilotes militaires internés en Suisse depuis le début de la guerre furent libérés. Le gouvernement du Reich ne l'avait pas exigé. Bien que la Grande¬Bretagne fût encore en guerre avec l'Allemagne, les pilotes allemands furent autorisés à rentrer dans leur pays. Le Conseil fédéral ne tint ainsi pas compte d'un devoir élémentaire imposé par la neutralité.
La Suisse se déclara en outre prête à indemniser l'Allemagne de toutes les pertes résultant des combats aériens, renonçant librement à réclamer des dommages et intérêts pour les destruction causées sur son sol par les bombes allemandes.
Pour finir une profonde révérence, une génuflexion devant le puissant: le Conseil fédéral présentait des excuses (formelles mais dans des termes un peu alambiqués) pour les avions allemands abattus.
Un chapelet de concessions en cinq fois 24 heures. Pour finir, le sixième jour, le discours du président Pilet-Golaz.

Une capitulation volontaire?

I1 ne devait pas y avoir que des concessions sur le plan de la politique étrangère. Les choses changèrent aussi à l'intérieur des frontières. Un signe qui ne pouvait tromper: les frontistes revinrent.
Ils avaient dissous eux-mêmes, quelques mois plus tôt, le Front national, qui était leur groupement le plus ancien et le plus fort. Leurs espoirs en une «nouvelle Suisse» paraissaient évanouis. Maintenant, les victoires allemandes les faisaient sortir de leurs retraites, leur donnaient un nouvel élan.
En juin, au moment où la France était déjà abattue, ils fondèrent deux nouveaux partis, le «Rassemblement fédéral», et le «Mouvement national suisse», réceptacles pour les fidèles. C'étaient les mêmes hommes, la même politique, la même idée du régime dictatorial qu'au «printemps des fronts». Le journal du parti, Die Front, parut de nouveau, lui aussi.
Mais ce qui donnait à réfléchir, ce n'étaient pas ces frontistes inébranlables; ce n'était pas non plus le retour de pseudo-chefs depuis longtemps démonétisés. L'inquiétant était que ces disciples d'Hitler trouvaient dans le pays et auprès de maintes autorité une oreille devenue bienveillante. Le vent avait tourné.
Comme pour obéir à un discret signal, les poursuites ouvertes contre des traîtres furent suspendues. Les officiers germanophiles qui avaient partie liée avec les frontistes étaient tolérés et restaient impunis même s'ils excitaient l'opinion contre le commandant en chef. D'importants renseignements ne parvenaient plus au Général. Certaines informations sur des événements d'Allemagne qui étaient destinées au commandement de l'armée étaient, ainsi que le constata le service des renseignements, interceptées par une main inconnue. La sûreté intérieure, le pouvoir d'action du haut commandement étaient devenus incertains.
Bien qu'un tout petit cercle seulement eût connaissance de ces faits inquiétants, le pays se trouvait, lui aussi, sous l'impression générale d'une insécurité croissant rapidement. Celui qui avait un regard et une oreille attentifs devait se demander si la Confédération n'était pas en voie de renoncer à l'existence. Depuis le discours du président de la Confédération, la confiance dans la fermeté du Conseil fédéral était d'ailleurs si ébranlée qu'il n'était pas déraisonnable de tenir une capitulation pour possible.
Mais que se passerait-il si le Consei fédéral tentait de prévenir une agression allemande en ordonnant de déposer prudemment les armes? Qu'arriverait-il s'il était disposé à laisser la Wehrmacht entrer en Suisse sans coup férir?
Le Général aurait-il l'audace de passe outre à la volonté du gouvernement, de ne pas tenir compte de sa décision S'insurgerait-il contre la plus haut autorité du pays et ordonnerait-il 1a lutte, même contre la volonté du Conseil fédéral?
Celui qui l'espérait, qui croyait que le Général agirait de cette façon savait aussi ce qu'on attendait de lui: la rébellion ouverte.
De telles pensées s'imposaient à l'esprit. Mais elles en entraînaient d'autres à 1a suite, qui débouchaient sur l'insubordination, la conjuration, la révolte, 1a résistance contraire aux ordres. Dans une situation en apparence sans issue, il ne paraissait y avoir qu'un salut possible: l'action directe, soit ouverte soit clandestine. Le moment de prendre soi-même les choses en main pouvait arriver d'un jour à l'autre.
Ici et là, d'abord dans les localités où la NSDAP entretenait de fortes cellules et où le danger d'une «cinquième colonne» incitait à une vigilance particulière, des groupes civils, secrets, se constituèrent spontanément pour assumcr la défense de la commune. Ils épiaient les logements et les habitudes de vie des principaux nationaux-socialistes et frontistes, surveillaient les rassemblements suspects et établissaient des plans d'opérations pour le cas où il faudrait agir.
Des volontaires se chargèrent de tâches précises, qui allaient de la surveillance discrète à la mise hors d'état de nuire de personnes dangereuses au cas où la guerre éclaterait.
Une démocratie soucieuse de subsister produisait des fruits extraordinaires: c'étaient des commandos prêts à se battre qui agissaient dans le plus grand secret, uniquement sur le territoire communal, n'obéissant à personne. Ils précédaient ou doublaient (en toute indépendance) les gardes locales, qu'on commençait tout juste à organiser mais qui, vers la fin de l'année, comptaient déjà 120000 volontaires armés dans plus de 2800 communes. Dans certains cas, ils s'agrégèrent aux gardes locales, comme cellules civiles secrètes.
A Davos, le grand centre national-socialiste, un pareil commando s'était déjà constitué en 1937. Rares sont les cas où le secret de ces groupements a été dévoilé dans la suite.
II y eut aussi un mouvement de résistance entièrement différent, qui, tout aussi spontanément, se répandit dans toute la Suisse à partir d'un centre, mais qui, à l'inverse des commandos communaux, exerçait son action au grand jour. C'était la «Ligue du Gothard».
Agir publiquement était sa caractéristique. La Ligue tirait son importance du fait qu'elle éveillait l'attention, qu'elle luttait aussi manifestement que possible contre la démoralisation et la peur, contre le pessimisme des «défaitistes». Tous les journaux devaient en parler.
Egalement différente était la conjuration d'un groupe d'officiers qui se constitua comme un noyau de résistance de l'armée en vue de se préparer, et de préparer les troupes, dans le plus grand secret à soutenir un combat désespéré si l'Allemagne devait attaquer; si le Conseil fédéral devait capituler; si le Général devait ordonner néanmoins le combat; s'il fallait, au pire, se battre contre lui, contre cet homme que ces officiers respectaient.
Si le caractère de ces mouvements de résistance était différent, la manière dont ils se constituèrent simultanémen dans un laps de temps extrêmement court, était pareille. C'était un véritable réflexe de défense suscité par le brusque renversement du rapport des forces en Europe, par les dangers intérieurs, par cette atmosphère de profonde inquiétude qui saisit aujourd'hui encore celui qui lit les journaux que d'aucun tenaient à cette époque.

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