Tout d'abord, à lire le post de Laurent indépendamment du livre, on est frappé par le caractère nouveau de ce document, accessible depuis 2004, par l'imprécision de sa date et une petite manipulation concernant celle-ci, tendant à faire croire qu'on peut le dater quand même de 1942, enfin par l'étrangeté du moyen de communication de la pensée du Général à une entité lisboète elle-même mal définie : le téléphone.
Pour en avoir le coeur plus net, on ouvre le livre et qu'y voit-on ? Que la page citée est la première du chapitre 8, dans lequel de Gaulle, sujet de la précédente bio de Roussel, est présenté pour la première fois, parce qu'il va rencontrer le héros du nouveau livre. Ce document est donc mis particulièrement en vedette. Il sert quasiment de carte de visite au nouveau venu.
Eh bien voilà un bel exemple de ce qu'il ne faut pas faire avec les archives inédites ! D'abord on doit commencer par tout mettre en oeuvre pour les dater si elles ne le sont pas; ce qui permet de les situer dans leur contexte, et de méditer sur les étrangetés pratiques, tel ce vecteur câblé transocéanique, aboutissant en temps de guerre dans un pays grouillant d'agents ennemis...
Bien sûr, ensuite, après ce cheval et ses sonores sabots, Roussel nous offre une alouette de contrepoison : attention, cela peut s'expliquer, et se nuancer, d'ailleurs voyez ce que pensait Mendès lui-même, il est catégorique, de Gaulle n'était pas antisémite, c'est la faute de son entourage... Mais ce n'est jamais là qu'opposer la subjectivité d'un brave ministre à l'objectivité ravageuse d'une archive qui a permis d'installer l'ambiance, en soulignant d'ailleurs qu'elle avait été "évidemment" écartée de l'édition des écrits du Général...
Pour l'instant, je tirerais de ce papier une conclusion et une seule : ces archives, au moins, ne semblent pas avoir fait l'objet d'une tatillonne censure ! Pour le reste, en mobilisant les connaissances de ma modeste boîte cranienne faute d'avoir beaucoup de temps à consacrer au dossier, un tel langage me paraît, comme d'ailleurs Roussel aussi finit par le suggérer, concevable au tout début du mouvement, quand de Gaulle avait un besoin vital de retenir en Angleterre des officiers pétris de maurrassisme : ainsi leur avait-il jeté en pâture la tête de Pierre Cot. En 1942 (avant ou après novembre ??), si c'est là vraiment sa date (mais s'il s'agissait d'une instruction à Billotte en qualité de chef d'état-major, l'absence de date serait-elle possible ?), la perspective est différente : on a affaire à des gens qui quittent la France en catastrophe pour cause de Solution finale (plus ou moins clairement perçue, mais on sent qu'un danger plane) mais aussi des arrivistes de la trempe d'un Couve de Murville et un filtrage se conçoit à des fins de vérification des motivations ou des compétences... mais alors il y a peut-être un contexte, qui nuancerait ce que la phrase citée peut avoir de choquant.
Ce papier n'est pas seulement, tel qu'il est reproduit, dépourvu de date, mais aussi de tout en-tête. Il pourrait s'agir aussi bien d'un compte rendu de conversation que d'un acte officiel (ou peut-être d'un brouillon, car encore une fois, si acte il y avait, il porterait une date).
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