Bonjour,
Si de plus en plus de "journalistes" - un terme assez vague permettant de regrouper pour mieux les déprécier ceux dont les travaux peuvent contredire les détenteurs (auto-proclamés) de la Grande Vérité Historique - s'intéressent à Charles de Gaulle, c'est bien, me semble-t-il, qu'il y avait là des manques et une carence historiographiques.
J'ai déjà dit ici ce que je pensais du procédé qui consiste à remettre en cause les compétences de chercheurs qui ne sont pas d'accord avec des synthèses érigées en dogmes pour ne pas y revenir.
Simplement, concernant l'essai très pertinent de Jean-Luc Barré, l'originalité de son approche mérite d'être soulignée. Mandaté par les responsables de la Pléiade, l'auteur de "Devenir de Gaulle" a travaillé à l'établissement d'une version "définitive" des "Mémoires de guerre" pour la prestigieuse collection. En cherchant dans les différentes versions manuscrites, il a découvert des documents inédits dans les archives considérables ouvertes pour lui par l'amiral Philippe de Gaulle, documents qu'il estima assez intéressants, voire passionnants pour en proposer une lecture ouverte dans le cadre de l'essai qui a pour champ les 3 ans et six mois cruciaux de la constitution du gaullisme de guerre.
Spécialiste de l'écriture gaullienne, J.-L. Barré nous propose l'histoire d'un cheminement : celui d'un auteur - de Gaulle - qui "n'écrit pas pour se livrer mais pour se construire. Beaucoup de ce qui est révisé, remodelé, mis en forme sinon EN SCENE (je souligne), au terme d'une longue et difficile confrontation avec les mots, consiste à occulter patiemment le cheminement individuel au profit de LA DESTINEE SYMBOLIQUE.(...) Réduit dans le texte définitif des "Mémoires de guerre" à l'évocation de hauts faits symboliques, ce cheminement est resté le SECRET de Charles de Gaulle." (Avant-propos, p. 12)
Charles de Gaulle fut autant (voire davantage) un homme de mots que d'épée. L'essai de Barré nous propose à partir de récit gaullien d'aller rechercher les réalités historiques comme autant de "couches" constitutives qui ont permis la relation de l'épopée singulière de la France libre réécrite et donc reconstruite par le Connétable pour la postérité. Cette étude très fine se fonde sur l'importance essentielle du pouvoir du verbe chez celui qui quitta toutes les séries en juin 1940. En nous proposant des exemples de rajouts mais surtout des retraits significatifs pratiqués dans son manuscrit par l'auteur, Barré, après les avoir confrontés à d'autres sources souvent inédites (correspondances, rapports et autres mémos des conseillers et compagnons de Charles de Gaulle), nous permet de retrouver le contexte, les enjeux et les protagonistes de l'histoire de la France libre.
Cordialement,
René Claude |