Le livre de Matard-Bonucci est remarquable. Je pense néanmoins qu'il est un peu trop déterministe sur les motivations qui ont porté à la protection des juifs autochtones et étrangers, notamment en Dalmatie et en France. Si l'auteur ne nie pas la présence d'un "soupçon" d'humanisme des autorités italiennes, il expose des justifications quasi essentiellement politiques à ces actes. J'ai par ailleurs été assez étonné de ne pas voir en bibliograpie un ouvrage très bien documenté sur l'attitude des autorités italiennes en Dalmatie entre 1941 et 1943, émanant de l'historien israélien Menachem Shelah, intitulé, dans sa version italienne, "Un debito di gratitudine. Storia dei rapporti tra l'Esercito italiano e gli Ebrei in Dalmazia 1941-43", datant de 1991. Shelah évoque lui aussi les jusifications politiques: respect de la parole donnée en 1941 de respecter la liberté de culte, refus de livrer les juifs aux Oustachis afin de montrer que l'Italie ne se laisse pas dicter sa loi, volonté de ne pas choquer la population et ainsi faire le jeu de la Résistance, poids déterminant de la communauté juive locale sur l'économie, etc. Mais Shelah insiste beaucoup sur l'aspect "humain". Ayant rencontré de nombreux protagonistes et accompli un remarquable travail d'archives, il montre combien les autorités italiennes et leurs chefs, dont le général Mario Roatta (dont il s'étonne que, comme pour beaucoup d'autres Italiens ayant eu des responsabilités sur place, le nom n'apparaisse pas à Yad Vachem), se démenèrent pour protéger les juifs, parfois par des moyens insensés (comme de "fausses manoeuvres" d'une unité blindée, dont les véhicules et les chars étaient "remplis" de juifs afin de les sortir des zones dangereuses!!), afin de les soustraire à la barbarie des Oustachis (détestés des solats italiens témoins d'actes inqualifiables) ou des rafles orchestrées par les Allemands. Ribbentropp dut presser Mussolini d'intervenir, ce qu'il fit, mais Roatta déclara ne jamais avoir reçu d'ordre écrit afin de contenter l'allié germanique. Quand celui-ci parvint "enfin", le Duce avait été au préalable convaincu par un émissaire de Roatta de ne pas l'appliquer et d'embobiner l'abjecte Ribbentropp (l'adjectif est de moi...) avec de bonnes paroles... . Des camps d'internement furent construits afin de montrer aux nazis que la "question juive" était d'actualité chez les fascistes, mais ces camps étaient avant tout desinés à ce que ni les Allemands ni les Oustachis ne pussent y intervenir. Des juifs dalmates furent même envoyés dans le sud de la botte italienne et "éparpillés" dans des villages isolés afin qu'on les y laissât tranquilles. Cette protection ne prit fin qu'en septembre 1943. Shelah insiste sur le fait que l'approche de la défaite et la prise en mains du problème juif en Dalmatie par les Allemands ne modifièrent en rien l'attitude italienne, mettant ainsi à mal l'"opportunisme" dont on affuble les Italiens (en Dalmatie du moins, mais aussi en France). Le général Amico, commandant de la division "Marche" fut exécuté par les Allemands pour ne pas avoir livré les juifs placés sous son autorité, et ce dans les jours qui suivirent l'armistice de Cassibile. Ce qui reste déroutant, c'est tout cet "arsenal" mis en oeuvre pour protéger une communauté qui, dans les frontières de la Péninsule, était discriminée avec beaucoup de sévérité, et dont le fichage "mâcha le travail" aux Allemands au moment où ceux-ci purent régner en maîtres sur l'Italie.