En lisant l'essai (très) pointu de Fabienne Federini, j'ai été surpris et dérangé par son balancement permanent entre une (bonne) synthèse des éléments historiens de l'engagement de Cavaillès et Gosset et les lourdeurs de son approche sociologique qui vient percuter le champ historique, mais sans l'enrichir réellement. Si les points et rappels historiques sont pertinents, l'analyse sociologique, elle, m'a laissé sceptique. Qu'on ait envie, à la lumière de concepts développés, entre autres, par un Bourdieu, de tenter une sociologie des résistants intellectuels est compréhensible, mais qu'il faille pour cela emprunter au langage académique ses formules les plus, hum, verbeuses et ses lourdeurs de style ne facilite pas l'accès du lecteur à cette thèse dont certains développements m'ont, je l'avoue sans honte, complètement échappé ... Je n'ai pas de background sociologique, mais j'estime être en général un lecteur pas trop stupide plutôt rodé aux démonstrations historiennes et capable de me frotter à des éclairages atypiques et à des analyses nouvelles. Mais là, je l'avoue : j'ai décroché à plusieurs reprises quand la chercheuse s'engage sur des pistes "strictement" sociologiques.
Si le chapitre intitulé La singularité de deux engagements est clair car écrit dans une langue fluide accessible à celles et ceux qui sont habitués aux essais d'Histoire, d'autres chapitres le sont beaucoup moins.
Attention, il ne s'agit pas, bien sûr, de donner dans un anti-intellectualisme qui fait trop souvent le jeu des courants de pensée les plus rétrogrades et les plus douteux, mais les extraits qui suivent me semblent illustrer mes réticences. Pour tenter de comprendre ce qui, dans son cadre familial, a pu nourrir l'engagement futur dans la résistance armée d'un intellectuel, Fabienne Federini écrit, ou plutôt théorise :
Parce qu'il n'y a pas de connaissance infuse de la politique et parce que l'école donne des potentialités sociales, notamment une capacité sociale à s'intéresser à la politique, plus que des instruments proprement techniques pour comprendre ce qui se joue dans le champ politique, - potentialités qui seront plus ou moins activées en fonction du passé familial de l'acteur et du contexte dans lequel il évolue -, la famille constitue un des tout premiers lieux où l'enfant acquiert, ou non, la maîtrise pratique du code politique nécessaire, et non éthiques, de ce qui se joue dans le champ politique. Et plus bas : Il nous semble important d'insister sur la socialisation familiale dans le processus de formation des dispositions politiques et donc dans celui des modes de production de l'opinion politique, car, à l'origine sociale voire à formation scolaire équivalente, les acteurs ne sont pas tous pourvus de copétence politique, même si - et cela concerne plus particulièrement les membres des professions artistiques, intellectuelles et libérales - ils se sentent socialement autorisés, en raison de leur formation scolaire notamment, à s'intéresser à la politique ou à produire un discours qu'ils pensent politique alors qu'il ne l'est pa toujours.
(p.66-67)
De cette "prise de tête", le grand absent reste encore Jean Cavaillès...
A cette thèses à cheval entre histoire et sociologie et qui déroute le lecteur, on aurait préféré une solide biographie avec des éléments empruntés à la sociologie politique ou alors un essai plus strictement historien.
Bien cordialement,
RC |