Bonsoir,
Il n'est pas aisé d'accoler une définition au régime de Pétain. Comme le note Jean-Pierre Azéma, dans l'ouvrage "La France des années noires", il a fallu attendre les années septante pour que les historiens s'intéressent à la nature même du régime.
Azéma met l'accent sur sept caractéristiques qui, remarque-t-il, "prennent le contre-pied des principes de la démocratie libérale et des fondements de la synthèse républicaine" : - le rejet et la condamnation définitive de l'individualisme - le refus de l'égalitarisme - un appel au rassemblement national - une pédagogie anti-intellectualiste - la défiance à l'égard de l'industrialisme - le rejet du libéralisme culturel - l'affirmation d'un nationalisme fermé et ethnocentrique.
Chacune de ces caractéristiques méritent que l'on s'y attarde... dès que je disposerai de quelques loisirs.
Par ailleurs, le rôle de Philippe Pétain est primordial: il est le "pièce maîtresse" de l'Etat autoritaire. Pendant longtemps - et encore de nos jours - la "divine surprise", chère à Maurras, n'aurait été qu'un vieil homme de plus de 80 ans manipulé par son entourage. Et de faire la distinction entre le bon Vichy, celui de Pétain et le mauvais Vichy, celui de Laval. La plupart des historiens contemporains (Cointet, Bédarida, Azéma, Burrin, Rousso, Paxton....) s'inscrivent en faux contre cette thèse lénifiante. Même si, comme le précise René un peu plus haut dans ce fil du débat, on parle de plusieurs Vichy ou de différentes périodes du régime, elles furent toutes mises en oeuvre par Pétain lui-même. Toutes les mesures et toutes les décisions qui ont engagé le sort de la France ont été prises par Pétain ou couvert de son autorité. S'il y eu des "potiches" ce furent plutôt ses ministres qui progressivement servirent de paravent ou de fusibles à l'égard des Allemands et surtout à l'égard de l'opinion publique qui acceptait de moins en moins les "vertus" de la Révolution nationale.
Quant aux origines de la dictature de Pétain, je vous propose quelques lignes de Pierre Milza in "Les fascismes".
*** La révolution nationale opère un retour aux sources, et aux sources les plus lointaines, de la tradition nationale. Vaincue, humiliée, la France se tourne instinctivement vers ses racines les plus profondes comme un guerrier blessé vers son enfance. Tel est dans une certaine mesure le sens de l'exode irrationnel du printemps 1940 : " La France ne fuit pas seulement devant le Teuton, le Prussien, le nazi. Elle se fuit en quelque sorte elle-même : elle se répudie comme France industrielle et citadine et se replonge dans une sorte d'archaïque état de nature, dans une ruralité élémentaire ". (Plumyène et R. Lasierra, Les Fascismes français, Paris, Seuil, 1963)
Telle est la signification de l'acceptation quasi unanime du régime de Vichy, de son idéologie régressive, de sa volonté de rétablir l'ordre moral et de restaurer les valeurs, les cadres (familles, corporations), les élites (notables), les activités (travail de la terre, artisanat) de l'ancienne France. Revanche, incontestablement, d'une France rurale, catholique, traditionaliste, sur le libéralisme des grands intérêts industriels et financiers et sur le radicalisme des "nouvelles couches" dont l'alliance préside depuis soixante ans aux destinées de la nation, tout autant que sur le spectre rouge incarné par les hommes du Front populaire. De proche en proche c'est tout l'héritage de la France révolutionnaire qui est répudié par Vichy et c'est pourquoi le régime qui se substitue à la Ille République s'inspire des principes depuis toujours défendus par la tendance la plus réactionnaire de la droite, celle de l'ultracisme contre-révolutionnaire. ***
Ou encore :
*** Le pétainisme est donc avant tout la convergence d'idées lointainement reçues des droites, badigeonnées de quelques ingrédients empruntés aux années 30. Ce pessimisme fondamental, ce moralisme sentencieux, cet élitisme antidémocratique, cette construction organisatrice de la société, ce nationalisme défensif et replié sur lui-même ont un fondement bien réactionnaire - au sens précis du terme. C'était un pot-pourri - somme toute banal - d'idéologies fleurissant à la fin du XIXè siècle, maurrassisme compris (...) ***
Bien cordialement,
Francis. |