Quelques soldats de la 2eDB à Dachau, 30 avril 1945 - Le chemin le plus long - forum "Livres de guerre"
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Le chemin le plus long / Pierre Quillet et 70 anciens

 

Quelques soldats de la 2eDB à Dachau, 30 avril 1945 de Jacques Ghémard le jeudi 27 janvier 2005 à 19h42

Ce passage du chemin le plus long me semble d'actualité. Dachau n'était pas un camp d'extermination immédiate, mais c'était bel et bien un camp de la mort à breve échéance.

L’autostrade est encombrée, dans le bon sens, par les colonnes de la 7e Armée, dans l’autre, par les colonnes de prisonniers marchant sans gardiens (et sans armes), chaque groupe précédé de ses officiers. À l’horizon, vers l’est, un épais nuage noir signale que Munich est en flammes à la suite du napping (bombardement massif qui met tout à ras terre) américain. Pourquoi fait-il encore si froid à la veille du premier mai ? Il y a encore des plaques de neige dans les creux. Tous les ouvrages d’art ont sauté : à chaque vallée, il faut descendre par les petites routes et remonter de l’autre côté.
À 20 km avant Munich, le capitaine Krémentchousky sort de l’autostrade, passe par-dessous, et prend la direction de Dachau. Il conduit lui-même sa jeep, dont le capot porte une large croix rouge sur fond blanc, son chauffeur assis à sa droite, comme d’habitude. La jeep est suivie d’un Dodge 4x4 transportant six hommes du 501 armés (lui-même ne l’est pas, ou n’est pas sensé l’être).
Le médecin-capitaine sait où il va, il est d’ailleurs le seul à le savoir. À peu de distance, il rattrape une autre jeep de la Croix Rouge américaine, avec un G.I. au volant, transportant un colonel et un lieutenant du service de santé qu’il connaît déjà.
Dachau est une gentille petite ville coloriée, d’une dizaine de mille d’habitants environ, qui n’a pas trop souffert de la guerre, très peu industrielle, traversée par une rivière et une ligne de chemin de fer. Les ponts, toutefois, ont sauté.
Le camp est fléché par un poteau indicateur en bois sculpté dans le goût rustique bavarois, signalant, vers la gauche, le SS-Uebungs-Lager (camp d’entraînement des SS), historié par trois soldats bottés-casqués en pleine course, vers la droite, le Konzentrations-Lager, figuré par deux musiciens, portant violoncelle et accordéon, qu’un militaire dirige impérativement par là, comme s’il s’agissait d’un lieu de bivouac imposé aux Bohémiens par une municipalité inhospitalière...
Le camp de concentration est au sud-est de la ville, dans une zone marécageuse entre deux ruisseaux sévèrement canalisés, le Gräberbach et le Wurmbach, dont le confluent est tout proche. L’entrée du camp est à l’ouest, avec un ponceau sur le Gräberbach ; le poste de garde est occupé par la Military Police, plusieurs voitures de la Croix Rouge sont rangées dans le parking près de l’entrée, ainsi que des bus de l’armée.
La cour d’entrée, sans être avenante, n’est pas hideuse, avec ses pelouses, ses parterres, des bâtiments gris à étage, et, sur la droite, toute une partie occupée par un jardin paysagé planté de sapins, un complexe sportif et une piscine. Tout est banal, sauf l’odeur de mort très prégnante. Le camp n’a été libéré qu’hier soir, dimanche. Les ex-détenus en costume rayé bleu-blanc (très délavé, presque gris), en sabots de bois, le crâne rasé, très maigres, vont et viennent librement. Quelques-uns s’approchent des arrivants, cherchant le contact ; ils parlent une langue inconnue ; leur regard est sombre et insistant.
- C’étaient les logements, la piscine, le terrain de sport des SS, explique le colonel en anglais. Les détenus n’y avaient évidemment pas accès. Le camp proprement dit est là-bas à 500 mètres, derrière le mur et les barbelés, là où vous apercevez les miradors.
Tout au fond de la cour vers la gauche, un énorme tas de cadavres aux membres raidis, décharnés. Le Krem regarde le colonel d’un air interrogateur.
- 2 600 cadavres : ils avaient été transportés dans des wagons jusqu’ici, venant de Flossenburg et de Buchenwald. À l’arrivée, tous étaient morts. Le Kommando chargé de les enterrer a arrêté le travail samedi soir, après la disparition des SS. Nous allons avoir les moyens de les enterrer, le matériel est en route, mais l’administration tient à ce que nous relevions tous les numéros matricules tatoués sur le bras gauche afin de les identifier. Cela ne va pas être une tâche facile.
Les M.P. invitent les ex-internés, poliment mais fermement, à ne pas sortir du camp.
- Ils vont être évacués bientôt vers leur pays d’origine dans la mesure du possible, insiste le colonel. Mais en attendant, ils doivent rester groupés ici...
- Mais, mon colonel, remarque Krémentchousky, nous en avons vus partout le long des routes. Ils sont bien reconnaissables... Nous en avons même nourris...
- Sans contrôle médical, c’est aussi un danger. Ceux que vous avez vus venaient des Sonderkommandos, des chantiers répartis un peu partout dans la région. Il est regrettable qu’ils aient échappé à notre organisation : comment seront-ils soignés, vêtus, transportés, nourris ? Sûrement pas par la population allemande. Pour beaucoup, c’est une fuite aveugle : ils ont peur de toutes les armées, même de leurs libérateurs ! Et il faut éviter que le typhus ne se répande...
Ils méditent un moment sur le sort de ces survivants de l’enfer qui doivent maintenant subir une quarantaine.
- Nous avons eu ici, en prison d’honneur (enfermés mais mieux traités), des ministres français : Léon Blum et Édouard Daladier. D’autres que vous pouvez aussi connaître, comme le pasteur Niemöller et le chancelier Schuschnigg, qui sont déjà partis. Le général Delestraint...
- Le général Delestraint est ici ?
- Non, il a été abattu le 19 avril d’une balle dans la nuque, au crématoire, et incinéré aussitôt. Il avait 66 ans. Le ministre français Blaisot est mort et a été brûlé également. Le Père Riquet a survécu (Le Krem ne le connaît pas non plus) ainsi que l’évêque de Clermont-Ferrand, Mgr Piquet, et des aristocrates, comme Xavier de Bourbon, frère de l’impératrice Zitta, ou Léopold de Hohenzollern... Voulez-vous visiter le K.Z. (camp de concentration), capitaine ? Le lieutenant Meyer va vous conduire.
Krémentchousky est déjà très démoralisé mais il se reprend. Le lieutenant Meyer est une ravissante jeune femme brune en uniforme.
- Venez docteur (les soldats suivent la visite). Mais il faudra passer ensuite à la désinfection : nous avons des cas de typhus.
Le camp comporte 34 Blocks (des baraques basses) réparties de part et d’autre d’une allée bordée d’arbres. Chaque bloc recevait normalement 70 internés. Mais il y en a eu jusqu’à 350 en août dernier. Les morts étaient si nombreuses que les deux crématoires n’y suffisaient pas ; il a fallu creuser des fosses.
Ils partent des places d’appel, au sud, et parcourent l’allée centrale. Les blocs, divisés en trois, meublés de châlits à trois étages, sont encore habités – non surpeuplés, cependant. C’est l’odeur du désinfectant qui désormais domine.
A gauche, les numéros pairs. Au bloc 26, une chapelle. Au fond du camp, au bout des deux séries de baraques, un groupe de bâtiments divers : la bâtisse de briques du crématoire ; un autre bizarrement appelé école supérieure de filles.
- Y avait-il des femmes à Dachau ?
- Il y en a environ 5 000 sur les 67 000 détenus qui sont encore ici, répond le lieutenant Meyer. Mais, dans l’état où elles sont vous ne les distinguez guère des hommes. Quant à l’école, non, il ne s’agissait pas d’écolières. Je vous laisse à penser ce dont il s’agissait. Les SS ne se refusaient rien. Il y avait en plus une école d’officiers sur le site de Dachau.
- Et là, au fond ?
- Des lapins. Des milliers de lapins dans ces clapiers. Le camp de Dachau est aussi une grande ferme, ajoutat-elle, en désignant des champs cultivés et des bâtiments agricoles, au-delà des barbelés, dans la zone des marais.
Le silence s’établit un moment.
- Y avait-il des Russes dans ce camp ?
- Oui, d’après les statistiques, il y en a eu plus de 13 000 depuis 1933. Vous pouvez les reconnaître parce qu’ils ont une tonsure étroite allant du front à la nuque, comme les Italiens, alors que les autres sont entièrement tondus, hommes ou femmes. Pourquoi ? je ne sais pas.
- Je n’en ai pas remarqué.
- Il en reste peu. Ils ont mal survécu. La tuberculose en a tué 70 %. A la fin, ils étaient comme des fauves, terrifiant les autres internés. Parlez-vous russe, docteur ?
- Oui.
- Êtes-vous juif, docteur ?
Elle demandait cela comme une information utile.
- Non. Ma famille est russe orthodoxe. Y a-t-il eu beaucoup de juifs à Dachau ?
- En fait, non, très peu. Dachau n’était pas un camp de la mort.
Le Krem la regarde d’un air incrédule...
- Beaucoup d’hommes sont morts ici, 100 000 peut-être. Mais il n’y avait pas de chambres à gaz pour les tuer systématiquement, comme c’était le cas à Auschwitz, surtout, et aussi à Belsec, Treblinka, Chelmno, Solidor. Il y a plusieurs cercles dans l’enfer, vous savez déjà cela, docteur. Ici, il y avait spécialement les « triangle rouge » (les politiques), les plus nombreux, et les « triangle vert », (les « droit commun »), les plus anciens.
- Avez-vous appris toutes ces choses en deux jours, miss Meyer ?
- Je ne les sais pas d’hier. Je travaille depuis trois ans dans un centre de documentation spécialisé, à New York. Nous avons une information très complète sur les crimes nazis. Moi, je suis juive, ajoute-t-elle.
- Puis-je poser des questions sur des personnes qui ont pu être déportées à Dachau, des Russes et des Français ?
- Demandez au père Goldschmitt, un prêtre français interné, qui essaie de reconstituer fichiers et archives. Il est installé avec son équipe au « bureau d’embauche ». Mais n’espérez pas une prompte réponse sur telle ou telle personne.
Le père Goldschmitt est un homme aimable, très fatigué, en costume d’interné (triangle rouge). Il ignorait qu’il y avait des Français dans l’armée américaine.
- Voyez-vous, capitaine, les archives ont été incendiées, la semaine dernière. Il ne reste que 150 000 fiches environ.
- Le camp a-t-il été bombardé ?
- Oui, une fois, mais ce n’est pas la cause. Elles ont été incendiées exprès, au lance-flammes. Les consignes nazies étaient de faire disparaître toute trace, les hommes aussi. Mais vous êtes arrivés à temps pour empêcher ce dernier massacre. Quelqu’un a averti les Américains de ce danger mortel, à Pfaffenhofen, et ils ont envoyé 60 hommes et quelques chars de reconnaissance. Ils ont distribué ensuite du pain, des conserves de viande et des cigarettes... (effectivement, Krémentchousky avait remarqué que beaucoup d’internés fumaient des blondes). Les Anglais, avant leurs bombardements de nuit de la région de Munich, encadraient le camp avec des fusées éclairantes. Une fois pourtant il a été atteint... Passez voir nos malades installés maintenant dans l’hôpital des SS, capitaine, vous leur ferez plaisir. Il y a parmi eux pas mal d’Alsaciens-Lorrains déportés pour refus de la nationalité allemande et du service militaire. Je suis moi-même de Morsbach (Moselle), donc Volksdeutsch (de souche allemande, selon les nazis), ajoute le curé de Rech-Sarralbe, avec un bon sourire triste, avant de retourner à son fichier.
Dans la cour d’entrée, des grappes d’internés s’agglutinent autour des soldats, essaient de parler anglais. Les soldats écoutent, au début, puis n’écoutent plus. Ils hochent la tête en disant :
- Yes, frightful ! ...
Ils ont vécu des horreurs sans nom, remarque un adjudant entre deux âges. Cependant, on n’a pas grand-chose à leur dire...
A la grande entrée, le colonel et un groupe d’officiers attendent Krémentchousky.
- Restez déjeuner avec nous, capitaine !
Ils attendent naturellement qu’il exprime ses sentiments devant ce qu’il vient de découvrir. Il se sent bloqué. Que dire de plus que ce que disent tous les soldats :
- Terrible !...
Malgré le charme de miss Meyer qui, elle aussi, attend une phrase, il n’a aucune envie de rester à Dachau pour le lunch. A la fois, il a hâte de fuir, et il n’arrive pas à s’arracher.
- Je croyais qu’ils étaient des ennemis normaux... des ennemis qu’il fallait vaincre, mais enfin, normaux... Ils étaient bien conscients qu’ils étaient des criminels, puisqu’ils voulaient détruire toute trace. Ils ont commis cet énorme crime en sachant parfaitement que c’était un crime. Ils ont voulu réaliser le crime parfait, dont personne ne saurait rien. Et en fait, nous, en Afrique, au Moyen-Orient, en Normandie, nous avons lutté pour libérer la France, non pour extirper et châtier le crime à l’échelle de l’Europe. Nous écoutions la propagande comme propagande, sans vouloir la contredire, mais d’une oreille distraite. Qu’est-ce que ça aurait changé ? Sur le terrain, très peu de choses. Nous sommes vainqueurs et voilà tout, c’est ce qu’il fallait. Mais si nous y avions vraiment cru, nous aurions combattu dans une autre pensée...
Krémentchousky rejoint l’autostrade mécontent — de ce qu’il a dit et de ce qu’il n’a pas dit. Il a lu dans les yeux de miss Meyer qu’il n’avait été que moyen. On ne lui fera pas de reproche : il a fait presque cinq ans de guerre, il est vainqueur — merci, docteur. Mais en découvrant l’horrible face cachée de la guerre « frightful, is’nt it ? », il est simplement resté éberlué.

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