Noël 1940 - 1940 - 1941 - 1942 -1943 -1944 -1945 - forum "Livres de guerre"
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1940 - 1941 - 1942 -1943 -1944 -1945 / Pierre Stephany

 

Noël 1940 de Francis Deleu le mercredi 25 décembre 2002 à 21h05

En ces jours de fêtes, joyeuses pour les uns, tristes pour les autres, le Noël 1940 raconté par Pierre Stephany.

**********
Stille Nacht.

"Le Soir" du 25 décembre expliqua à ses lecteurs qu'ils allaient vers un avenir radieux, car «cette guerre et la révolution qu'elle entraîne sont les prémices d'une prodigieuse renaissance.»
Dans la nuit du 24 au 25, le Père Noël nazi avait semé des bombes sur les chemins de Manchester, de Liverpool, de Sheffield, de Coventry, et Berlin, la Ruhr n'avaient pas été épargnés non plus, et l'Albanie, la Libye n'avaient pas échappé aux dures lois de la tactique, et Corfou avait été bombardé pour la vingt-troisième fois. Mais tout cela, si l'on comprenait exactement "Le Soir", c'était pour notre bien.
Des mesures d'une indulgence exceptionnelle avaient été prises en beaucoup d'endroits. Pour les réveillons, l'ouverture des cafés fut, en général, autorisée jusqu'à 1 heure bien que les vagues décoctions et les bières douteuses qu'on y buvait ne fussent pas, en elles-mêmes, une raison suffisante de s'attarder, et le couvre-feu était reporté à 1 heure 30.
Le 24 décembre, cependant, les messes de minuit furent supprimées par l'occupant. On les célébra entre 16 heures et 18 heures.
Les radios diffusèrent des programmes où l'on entendait les voix de compatriotes, parfois d'amis et de parents lointains. Celles de Londres parlaient d'espoir, mais le sentiment qui dominait était l'inquiétude. Certes l'Allemagne n'avait pas encore gagné la guerre, l'Angleterre n'avait pas été envahie, la Luftwaffe n'avait pas réussi à chasser du ciel les avions du dernier pays libre, Franco avait donné de grandes claques dans le dos d'Hitler mais il n'avait pas permis à l'Allemagne d'occuper Gibraltar. L 'Union Soviétique, toutefois, était toujours dans le camp allemand, la France avec son empire n'avait pas encore dit clairement de quel côté elle voulait se ranger, l'Amérique ne bougeait pas.
Ceux qui avaient quelques notions de stratégie comprenaient que l'Alle­magne, pour envahir l'Angleterre, aurait maintenant à emprunter des routes passant par l'Afrique et Suez. La guerre, quelle qu'en puisse être l'issue, serait interminable.
Ce n'était pas l'avis de Goebbels. Offrant la fête traditionnelle aux mères et aux enfants, il prononça à la radio une allocution, diffusée par tous les postes que contrôlait le Reich, où il affirma que, si beaucoup de pères étaient ce jour-là éloignés des leurs, cette situation ne serait que passagère, car « la victoire est proche»; mais, même les Allemands, pour ce qui est de la sincérité de Goebbels, commençaient à avoir des doutes. Rudolf Hess parla depuis Munich. Il s'adressa aux «soldats de toutes armes qui montent la garde du Cap Nord jusqu'au golfe de Biscaye» et tira le bilan de cette année «où la face de l'Europe a changé et où beaucoup de peuples de notre continent ont brisé les chaînes de la ploutocratie,), en attendant que tombe l'Angleterre, dont «la justice divine s'est détournée).
D'Hitler, on disait seulement qu'il passait le second Noël de guerre quelque part à l'ouest, parmi ses soldats et ses ouvriers.
En réalité, il se trouvait avec des pilotes de la Lutfwaffe, près de Boulogne, et dans son train spécial stationné à quarante kilomètres de Beauvais, il avait reçu, pour confirmer la collaboration d'Etat entre la France et l'Allemagne, l'amiral Darlan; le chef de la flotte française, Laval ayant (très provisoirement) été écarté, passait à présent pour l'héritier du Maréchal.

Radio-Bruxelles joua Stille Nacht. La radio expliqua aussi que, pour Noël, le haut commandement avait décidé de pratiquer la trêve des armes, mais que cette initiative s'était heurtée à «l’inconcevable attitude du chef du gouvernement anglais», qui rejeta cette possibilité, préférant le geste «sacrilège et inadmissible» pour celui (Hitler) qui, «par trois fois, généreusement et sans arrière-pensée, avait tendu la main dans un geste de paix.»
La "Brüsseler Zeintung" s'efforçait de rassurer les Belges, car «dans les régions occupées beaucoup de gens ne peuvent pas encore se représenter en quoi le nouvel ordre européen constitue un progrès sur la situation antérieure.» Demain, l'Angleterre, qui contrôlait le commerce mondial au détriment des petits pays, serait écartée au profit de l' Allemagne, «pays champion des libertés européennes» et prêt à réveiller les économies assoupies «dans une équitable répartition des moyens d'existence.»

Le 1er janvier, une émission poétique et musicale souhaita une année sereine «à vous tous, bonnes gens de Belgique, des côtes flamandes aux forêts d'Ardenne», et relaya les malédictions habituelles lancées par le Führer sur les «fauteurs de guerre» qui avaient plongé le monde dans la désolation.

Meilleurs voeux!

La réalité de la main de l'occupant était qu'elle se faisait chaque jour plus lourde. Le 28 décembre, on apprenait, non seulement qu'il venait de s'approprier au détriment du Secours d'Hiver une quantité de viande de boucherie évaluée à 14.000.000 de francs, mais encore que l'abbé Schoorman, vicaire de Saint-Albert à Bruxelles, était condamné à la déportation en Allemagne et à dix ans de travaux forcés pour avoir diffusé des tracts clandestins.
A Paris, le 23 décembre, était apparues les premières affiches bordées de noir annonçant le premier fusillé. C'était un ingénieur, Bonsergent, qui, sortant un peu éméché d'une réunion d'amis, s'était bagarré avec un sous-officier de la Wehrmacht et, arrêté, avait refusé de donner les noms de ses compagnons de virée. A Paris, comme à Bruxelles, le mois précédent, pour la commémoration du 11 novembre, il y avait eu des incidents. Il fallait que l'autorité montre qu'elle ne faiblissait pas. Bonsergent mourait pour l'exemple.
Devant la Crèche, on entendit formulés, à l'intention de nos ennemis, quelques souhaits qui n'avaient certes rien de chrétien, mais ce n'est pas nous qui avions commencé.
Soixante mille prisonniers seulement étaient revenus d'Allemagne; Rudolf Hess avait promis que, pour la fin de l'année, nous en verrions rentrer vingt-cinq mille de plus, mais c'était encore un bobard.
On avait reçu d'eux, au début, des cartes imprimées en caractères gothiques; «Je suis bien portant, légèrement blessé, gravement blessé, prisonnier des Allemands; tout va bien; je peux recevoir des lettres de toi et t'écrire»; l'expéditeur barrait les mentions inutiles. A présent, le papa, le mari pouvaient écrire vraiment, mais à condition que ce soit lisiblement et au crayon, car la censure devait pouvoir effacer ce qui ne lui convenait pas. «Nous brûlons de la tourbe dans notre petit poêle de fonte qui chauffe bien. Nous ne sommes plus que neuf ayant appartenu au groupe d'origine : les neuf Wallons. Les trente Flamands sont partis. Ceux qui ont été libérés ont été remplacés par des Polonais.» En Belgique, on lisait ça en se disant ; «Si seulement, il pouvait être là pour Noël!» Il n 'y était pas. La Croix-Rouge organisait pour les prisonniers des collectes de tricots et des envois de colis-types de un ou deux kilos à vingt ou quarante francs, avec, suivant les possibilités, des conserves, du chocolat, des fruits secs, de la confiture; dans ces colis de l'affection et de la pauvreté, le beurre, le lard, les fruits frais, les rasoirs, les lames, les ciseaux, le papier à lettres, les crayons, les allumettes étaient, suivant un des mots les plus courants du vocabulaire allemand, verboten.
Les journaux coûtaient 50 centimes. Ils annonçaient, dans la semaine de Noël, un appel de Pétain à la jeunesse française, l'arrestation pour sabotage du curé et du bourgmestre de Dinant, la saisie en Flandre de 200.000 kilos de pommes de terre et, en football, la victoire, sur le White Star, d'Anderlecht, qui était leader du championnat brabançon. "Le Soir" appréciait le succès des bombardements allemands sur Londres, dont les incendies faisaient rougeoyer le ciel jusqu'aux rives de la Manche, et dénonçait le complot judéo-maçonnique dont feu l'I.N.R. avait été le théâtre, cependant que "Le Pays Réel" sortait une manchette triomphale sur le refus des Etats-Unis d'entrer dans la guerre.
"Le Nouveau Journal" soulignait le déficit alarmant des finances de la Ville de Liège: 191.574.500 francs prévus pour 1941. On y trouvait aussi un conte de Noël de Jean Libert, une chronique brillante, comme toujours, de Paul Werrie sur la pièce "Une femme qu'a le coeur trop petit", de Fernand Crommelynck, jouée aux Galeries, et une méditation en italiques de Robert Poulet à propos de la lettre anonyme.

Au pied de l'arbre.

Le 24 et le 31 décembre tombaient un mardi. André Berger, au Parc, jouait "Cyrano de Bergerac", "Darman et son béret", au Vaudeville, étaient les vedettes d'une comédie à caleçon. A "l'Ancienne Belgique", le spectacle de réveillon commençait à 19 heures. Les films américains avaient disparu de l'affiche des cinémas. On jouait "Bel Ami", avec Willy Forst, "La Fugue de Monsieur Pate", avec Hans Albers, "Hello Janine", avec Marika Rokk, "Bossemans et Coppenolle", avec Marcel Roels et Gustave Libeau, "La Loi du Nord", avec Michèle Morgan, Charles Vanel et Pierre-Richard Willm, "Fanfare d'amour", avec Fernand Gravey, et, naturellement, "Le Juif Süss". La dernière séance commençait à 21 heures 45.

Les annonces des journaux vantaient la poudre Clairette, qui lessivait, détachait, blanchissait et pour laquelle il ne fallait pas de timbres, et le gazogène Hubinont frères, fonctionnant au bois ou à l'anthracite, qui coûtait 9.000 francs.
Le vrai café avait été rayé de la liste des produits rationnés: on buvait une préparation de malt grillé additionné de chicorée.
Les démunis commençaient précocement un hiver qui serait à peine moins rude que celui de l'année d'avant, avec presque deux mois de gel ininterrompu. C'était comme si le ciel météorologique le faisait exprès d'ajouter à tant de misère une infortune de plus.
La Belgique, en quelques mois, était devenue un corps exsangue. Les Allemands nous prenaient tout: linge, vêtements, bas de soie, cigarettes, wagons de chemin de fer, chocolat, chaussures, pommes de terre. On disait que, le 16 février, il n'y aurait, dans le pays, plus rien à manger.

Jamais, l'enfant Jésus dans son étable n'avait été à ce point l'image de notre dénuement. Dans beaucoup de foyers, on dressa encore un arbre de Noël, mais les friandises y firent souvent défaut. Au pied du sapin, au lieu de cadeaux futiles, on fut heureux de trouver, chez les privilégiés, un pyjama, des chaussons, un cache-nez.

L'hiver serait long!
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Bien cordialement,
Francis.

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