Bonjour,

Barbara LAMBAUER a publié une somme passionnante sur celui qui sut finement jouer la carte d'un "non conformisme" socio-culturel dès les années 1933-1934 afin de séduire des écrivains français en rupture idéologique.
Elle écrit :
"Les mouvements non conformistes qui existent à Paris depuis la fin des années 20 et qui abordent avec un esprit nouveau les débats politiques, du fait même de leur mécontentement face au système politique et social, restent un groupe très convoité par Otto Abetz. Ce dernier, bien qu'employé de l'appareil nazi, ne peut en effet que se sentir proche des "antis" (l'anticapitalisme, l'antilibéralisme, l'antirationalisme) qui inspirent aussi le national-socialisme. Il n'est pas très étonnant de le voir tenter de susciter l'intérêt de ces cercles par le régime nazi. (Note perso : comme certains artistes et écrivains issus de l'expressionnisme en Allemagne qui adhérèrent intellectuellement au nazisme, attirés par l'irrationnel païen qui existait dans le fatras philosophique hitlérien.)
C'est ce qu'il (Abetz) effectue par le biais de Bertrand de JOUVENEL, avec un certain succès, par exemple en 1934, lorsque l'écrivain DRIEU LA ROCHELLE accompagne la délégation française à Berlin."

On voit donc que la nomination en 1940 après la débâcle et l'armistice, de Drieu à la tête de la N.R.F chez Gallimard, est la concrêtisation d'une patiente préparation politico-littéraire remontant aux lendemains de l'arrivée au pouvoir des nazis.

La biographe d'Abetz poursuit à propos de Drieu :
"A ce moment, Drieu la Rochelle, comme beaucoup de ses compagnons, se trouve à un carrefour de sa vie : dans sa recherche d'un système politique approprié aux exigences de l'époque, il se tourne progressivement vers le fascisme. Par leurs fréquents contacts, il devient l'ami d'Abetz et le restera pendant de longues années. (...) En 1935, Drieu participe non seulement à la réunion des jeunesses franco-allemandes, mais aussi au congrès du parti national-socialiste à Nuremberg, qui a lieu en septembre de la même année et au cours duquel les lois raciales instaurant un statut de seconde classe pour les juifs sont proclamés. Il s'y rend sur invitation d'Abetz(...) Il semble bien que les contacts allemands prennent alors une bonne part d'influence dans les choix politiques de Drieu." (p.107-108)

Et à Paris, c'est à son ami Emmanuel BERL - qui écrira les premiers discours de Pétain en 40 - que Drieu remet un rapport pour le magazine "Marianne" que dirige le philosophe. Les "Cahiers franco-allemands", financés et directement influencés par Abetz publient alors des poèmes de Drieu et dès 1936, il rejoint d'autres écrivains au P.P.F. tels de Jouvenel, Marion, Fernandez,...

L'habile Abetz a su moduler en finesse, jouant des particularités individuelles, des doutes de chaque écrivain français qu'il s'efforçait de séduire afin de préparer ce qu'il faut bien nommer une tête de pont littéraire et culturelle dans le Paris d'après la défaite française.
Certains ont écrit que Drieu, complexé par une hypersensibilité artistique, doutant dans l'immédiat avant-guerre de sa propre qualité de romancier - il est vrai que "Rêveuse bourgeoisie" est un pavé un peu indigeste, Drieu étant manifestement plus à l'aise sur le demi-fond littéraire - fut sa vie durant fasciné par les manifestations de la force brutale, en quête d'une sorte de sur-virilité qu'il crut trouver dans le fascisme puis, juste avant de mourir, dans le communisme stalinien. C'est juste, mais un peu réducteur. Le "cas" Drieu continue de provoquer attirance, exaspération et polémiques auprès d'auteurs et de lecteurs très différents. C'est là la marque d'une œuvre, fut-elle frappée d'infâmie...

Bien cordialement,

RC